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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 21:01
Un membre du GIGN jugé
pour avoir tué Henri Lenfant
d’une balle dans la nuque 

En 2018, le gendarme Alexandre B. a fait feu sur un homme qui avait redémarré sa voiture pendant son arrestation. Il doit être jugé pour « coups mortels », du 19 au 22 février, devant la cour criminelle du Pas-de-Calais. 

À partir du lundi 19 février, un gendarme de 43 ans doit comparaître pendant quatre jours devant la cour criminelle du Pas-de-Calais, à Saint-Omer. Accusé de « coups mortels » sur Henri Lenfant, tué d’une balle dans la nuque à 22 ans, Alexandre B. risque vingt ans de prison. 

Au terme d’une enquête qui a duré quatre ans, une juge d’instruction de Béthune a écarté la légitime défense et estimé que le tir d’Alexandre B. n’était « pas strictement proportionné » à la situation. D’autant plus pour « un professionnel formé au tir et membre d’une antenne du GIGN, aguerri aux interpellations difficiles »

Cette décision de mise en accusation, contestée par le gendarme, a été confirmée en appel et en cassation. « Les conditions de tir prévues par la loi nous semblent être réunies », maintient l’avocat d’Alexandre B., Sébastien Busy, qui ajoute : « Nous avons parfaitement conscience qu’un homme est mort, mais l’objectif de mon client était d’interpeller. » Aux yeux de la défense, Henri Lenfant représentait « une menace directe » pour Alexandre B. et ses collègues. 

 
Illustration 1 Marche blanche pour Henri Lenfant à Fouquières-lès-Lens, le 28 septembre 2019. © Photo Alexis Christiaen / La Voix du Nord / PhotoPQR via MaxPPP

De son côté, la famille d’Henri Lenfant n’a pas obtenu que les faits soient qualifiés d’« homicide volontaire », c’est-à-dire de meurtre, ce qui aurait conduit Alexandre B. devant les assises. « On est beaucoup plus proche du meurtre que de l’homicide involontaire », soutient Alban Deberdt, conseil des parties civiles aux côtés de Sophie David.

L’avocat poursuit : « Mes clients ont hâte que justice soit rendue. Comment un membre du GIGN, formé, qui doit maîtriser ses gestes, peut-il tirer à bout portant dans la tête d’un homme désarmé et tétanisé ? Comment penser qu’il n’a pas d’intention de tuer ? Pourquoi les autres gendarmes rangent leur arme ? Avec le véhicule du GIGN à l’arrière, Henri Lenfant ne pouvait pas reculer. À l’avant, il y avait un fossé. Il lui était impossible de s’enfuir, et de toute façon, sa voiture était balisée. » 

Un conducteur cramponné au volant

Dans la nuit du 28 septembre 2018, Alexandre B. et onze de ses collègues du GIGN interviennent dans le cadre d’une enquête judiciaire pour « vols aggravés » menée par la brigade de recherches d’Arras. 

Positionnés sur un parking de Fouquières-lès-Lens, à proximité d’un camp de « gens du voyage », les gendarmes de cette unité d’élite sont chargés d’attendre et d’arrêter trois suspects de cambriolages. Décrits par leurs collègues locaux comme des « malfaiteurs déterminés », capables de violence, ils seraient « prêts à prendre tous les risques pour fuir »

Quand la voiture des trois hommes se gare, à 3 h 35, Alexandre B. donne le « top » de l’interpellation. Deux passagers s’échappent à pied tandis que le conducteur, Henri Lenfant, reste immobile et s’agrippe au volant. L’un des gendarmes brise la vitre du conducteur et ouvre sa portière mais ne parvient pas à l’extraire de la voiture. 

Alexandre B. décide alors de pénétrer dans l’habitacle, côté passager, son arme de service à la main. Il tire le frein à main et tente de retirer la clé du contact. Mais Henri Lenfant redémarre et la voiture embarque le gendarme sur une vingtaine de mètres. 

Alors qu’Alexandre B. a les deux genoux sur le siège passager et les pieds qui dépassent de la portière ouverte, une lutte s’engage. Le gendarme donne des coups au conducteur, au niveau du flanc droit, et lui intime l’ordre de s’arrêter. Henri Lenfant accélère en direction d’un champ et repousse deux fois le gendarme avec sa main. 

Un coup de feu retentit. La balle tirée par Alexandre B. atteint l’arrière du crâne d’Henri Lenfant. Le Samu, appelé par les forces de l’ordre, ne peut le réanimer. Henri Lenfant est mort à 22 ans. Ferrailleur et père de deux jeunes enfants, il vivait en famille dans une caravane. Aucune arme n’a été retrouvée dans sa voiture. 

Une position « inconfortable et dangereuse »

Tout au long de l’enquête menée par l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) puis de l’instruction, Alexandre B. a soutenu qu’il se sentait en danger de mort, craignant d’être éjecté du véhicule puis écrasé. Ses collègues confirment, estimant que tous les gendarmes proches du véhicule risquaient leur vie. 

Depuis sa mise en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », il y a cinq ans, Alexandre B. est sous contrôle judiciaire avec l’interdiction de porter une arme. Il n’en avait jamais fait usage auparavant, s’entraînait au tir « au moins deux fois par mois » et affirme qu’il a tiré sans viser la tête et sans volonté de tuer.

Dans l’attente de son procès, il est toujours gendarme mais cantonné à des tâches administratives. Son avocat décrit un homme « très volontaire », qui avait servi au GIGN, en Polynésie et en Guyane. Sa carrière, longue d’une vingtaine d’années, est aujourd’hui « complètement bloquée »

Dans son ordonnance de mise en accusation, la juge d’instruction confirme qu’Henri Lenfant « résistait à son interpellation », « par sa passivité puis par le redémarrage du véhicule et enfin en repoussant de la main Alexandre B. ». Mais elle souligne aussi que le gendarme a décidé « de sa seule initiative de pénétrer dans l’habitacle du véhicule », arme à la main, « sans que cela relève d’une nécessité absolue ».

Pour la magistrate, « d’autres solutions permettaient encore l’immobilisation définitive » de la voiture. Elle estime donc que le gendarme s’est mis de lui-même « dans une position particulièrement inconfortable et dangereuse » et conclut au caractère disproportionné de son geste. Les cinq juges professionnels de la cour criminelle auront quatre jours pour se faire une idée.

 
 

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22 février 2024 4 22 /02 /février /2024 20:27
Mort d’Henri Lenfant :
à Saint-Omer, la famille dévastée
après l’acquittement du gendarme

La cour criminelle du Pas-de-Calais a estimé jeudi que le danger justifiait le tir d’Alexandre B., jugé pour avoir tué le jeune homme d’une balle dans la tête lors de son interpellation en 2018. Le récit du militaire du GIGN était pourtant fragilisé par les éléments de la procédure.

 

par Ismaël Halissat, envoyé spécial à Saint-Omer et photos Hugo Clarence Janody. Hans Lucas
publié aujourd'hui  22 fevrier à 19h01
 

«Tant qu’il est gendarme, il est gendarme»

 

Un tir à bout portant

«On voulait que l’accusé voie qui il a tué»

Un discours bien rodé qui se lézarde

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21 février 2024 3 21 /02 /février /2024 10:39

Jeux olympiques Paris 2024

 

 

  1. Les mesures exceptionnelles mises en place sur l’organisation de la justice.

 

Éléments importants :

  • Augmentation importante de l’activité judiciaire en amont et pendant les JO. Affectation de magistrat·e·s supplémentaires dans les tribunaux de région parisienne : au premier semestre 2024, 122 magistrat·e·s et 294 greffiers seront affecté·e·s en renfort pour les JO (dont 60 magistrat·e·s et 185 greffiers dans le seul ressort de la cour d’appel de Paris), en plus des 140 contractuel·le·s recruté·e·s pour la seule cour d’appel de Paris. 125 des 333 nouveaux magistrat·e·s de l’ENM seront affecté·e·s en région parisienne.

  • Aménagement des vacances judiciaires traditionnelles (les magistrat·e·s sont prié·e·s d’étaler leurs congés d’été) et modification de l’organisation du travail selon trois périodes :

    • Du 24 juin au 7 juillet : les vacances judiciaires commencent plus tôt ; gèle des agendas de certaines chambres afin de privilégier les audiences de comparution immédiate et CRPC.

    • Du 8 juillet au 25 août : audiences de comparution immédiates renforcées (3 chambres de comparution immédiates).

    • Du 26 août au 27 septembre : dispositif exceptionnel pour traiter les affaires renvoyées.

  • Renfort du plateau de permanence des parquets, renfort des permanences du juge des enfants et du JLD, dispositif de soutien par la délégation de magistrat·e·s d’autres parquets ou du parquet général etc. D’autres mesures exceptionnelles sont mises en place et sont détaillées dans la « Boîte à outils » du ministère de la Justice ci-dessous.

 

Documents : 

 

 

  1. Des mesures de police extraordinaires

 

Éléments importants :

  • Le ministère de l’intérieur a prévu le déploiement de 30.000 policiers et gendarmes par jour, avec le potentiel renfort de 7000 élèves des écoles de police et de 8500 réservistes.

  • Lancement de la vidéosurveillance par intelligence artificielle : un logiciel est chargé d’analyser les images de surveillance fournies par des caméras fixes. L’IA envoie une alerté à la police dès qu’elle détecte un comportement ou une situation « suspect ». Le ministère de l’intérieur assure qu’il n’y a ni reconnaissance faciale et toute forme de recoupement avec d’autres fichiers.

  • Le ministère de l’intérieur réfléchit aussi à équiper les drones d’algorithmes de surveillance. Cette mesure n’a visiblement pas été adoptée pour le moment.

 

Documents :

 

 

  1. Déplacement des populations en situation de précarité

 

Éléments importants :

  • En octobre dernier, 70 associations ont adressé une lettre ouverte au comité d’organisation des JO, dénonçant les démantèlements de campements informels, les évacuations de foyers de travailleurs immigrés ou les interdictions de distributions alimentaires.

  • Sont visées principalement par ces mesures : les personnes sans-abris, les étudiant·e·s et les personnes exilées en situation de précarité. Un collectif d’association « Le revers de la médaille » a été créé visant à sensibiliser et avoir un impact sur ce domaine.

  • Ces mesures ont déjà démarré : plus de 4000 personnes ont été déplacées de la Seine-Saint-Denis après le démantèlement de leur lieu de vie ; 1600 personnes sans-abris d’Île-de-France ont été transférées depuis 6 mois dans des « sas » d’hébergement en régions.

 

Documents :

 

 

  1. Mise en place de périmètres de sécurité

 

Éléments importants :

  • Établissement de périmètres de sécurité autour des lieux de compétition : des zones ont été établies visant à restreindre les déplacements. Elles touchent principalement les véhicules, mais également les piétons dans certaines situations. Un QR Code devra être présenté pour rentrer dans certaines zones visiblement suite à un enregistrement sur une plateforme numérique (ex : pour les riverains, ou pour se rendre dans un bar se trouvant dans ladite zone).

  • La situation risque cependant d’évoluer d’ici fin-février.

 

Documents :

 

 

  1. Surveillance administrative de masse

 

Résumé :

  • Le SNEAS (Service national d’enquêtes administratives) est chargé de scruter la vie de tous les acteur·rice·s entourant l’événement (bénévoles, journalistes, agents de sécurité etc.). Près d’un million d’enquêtes auront lieu d’ici le début des JO.

 

Éléments importants :

 


 
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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 21:03
Affaire Adama Traoré : la décision
concernant la contestation
du non-lieu sera rendue le 16 mai

Dans son réquisitoire, le parquet général reconnaît un « lien de causalité » entre l’interpellation et la mort du jeune homme en 2016, mais estime que l’usage de la force par les gendarmes était proportionné.

Par Luc Bronner  Publié aujourd’hui  19/02 à 17h10


https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/19/affaire-traore-la-decision-sur-la-contestation-du-non-lieu-connue-le-16-mai_6217367_3224.html

Lors d’une manifestation en souvenir d’Adama Traoré, à Paris, le 8 juillet 2023. Lors d’une manifestation en souvenir d’Adama Traoré, à Paris, le 8 juillet 2023. BERTRAND GUAY / AFP

Le dossier judiciaire de l’affaire Adama Traoré n’est pas complètement clos. Après l’ordonnance de non-lieu rendue, fin août 2023, par trois juges d’instruction, la famille du jeune homme mort le 19 juillet 2016 au cours d’une interpellation par des gendarmes, à Beaumont-sur-Oise (Val-d’Oise), avait déposé un appel, examiné jeudi 15 février par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. La décision, dans un dossier emblématique des débats et des controverses autour des violences policières, sera rendue le 16 mai.

 

Dans son réquisitoire, consulté par Le Monde, le parquet général a pour sa part reconnu, de façon explicite, le lien entre l’intervention des gendarmes et la mort du jeune homme. « A l’issue de l’instruction, et de nombreuses expertises réalisées, le lien de causalité entre les manœuvres réalisées par les militaires de la gendarmerie et le décès de monsieur Traoré paraît établi », note le procureur général. Le magistrat retient néanmoins de ces expertises que, avant son interpellation, Adama Traoré « souffrait d’une hypoxie sévère et un processus létal était déjà enclenché, lié à un coup de chaleur ».

La mesure de contrainte opérée par les gendarmes a aggravé son état de santé, reconnaît-il donc, sans être l’unique cause du décès : « Cette asphyxie de contrainte, compte tenu de sa courte durée et des modalités d’intervention des forces de l’ordre, n’aurait pas dû avoir une issue fatale. De multiples facteurs ont conduit au décès de monsieur Traoré, qui était déjà très affaibli au moment de l’intervention des forces de l’ordre, la première cause létale étant le coup de chaleur. »

Circonstances décisives

L’argumentaire du parquet pour défendre le non-lieu rendu par les juges d’instruction repose sur le caractère « proportionné » de la force utilisée par les gendarmes afin d’interpeller Adama Traoré. Les circonstances de l’interpellation sont en effet décisives aux yeux du parquet. Le 19 juillet 2016, des gendarmes en patrouille avaient cherché à contrôler Adama Traoré et son frère Bagui, recherché dans le cadre d’une enquête pour vol avec violence.

Adama Traoré avait pris la fuite, échappant à une première tentative d’interpellation dans un jardin public grâce à l’intervention d’un ami, lequel avait bousculé les militaires qui commençaient à le menotter. Adama Traoré avait été retrouvé, dans un second temps, caché dans un appartement après avoir été signalé par un habitant effrayé par l’irruption du jeune homme avec des menottes.

 

Les gendarmes avaient fait état de rébellion et de résistance de sa part à l’intérieur de l’appartement. « Nous nous jetons sur lui avec mes deux collègues », avait déclaré l’un des fonctionnaires. « On se trouvait à trois dessus pour le maîtriser », avait ajouté un autre militaire. Devant les juges, les gendarmes avaient finalement expliqué qu’« Adama Traoré n’avait pas eu à supporter leurs trois poids respectifs simultanément » – ces dernières déclarations avaient conduit les juges à considérer leur usage de la force nécessaire et proportionné.

Argumentaire rejeté

Le parquet suit un raisonnement similaire à celui des juges d’instruction, insistant sur le fait que le recours à la force était justifié. « Le comportement actif, volontaire et tonique de monsieur Traoré, à savoir sa capacité à prendre la fuite à deux reprises en courant, sa capacité à résister à une première interpellation, pouvait largement laisser penser qu’il était en possession de ses moyens physiques au moment où les trois militaires l’ont physiquement appréhendé », relève ainsi le procureur.

« Il apparaît que cette force était proportionnée à la situation de résistance qu’opposait monsieur Traoré, puisqu’il refusait de répondre aux injonctions, et que, comme l’ont indiqué les gendarmes, il raidissait ses bras sous son corps et agitait ses jambes », précise le parquet général, en soulignant qu’aucune trace de violence n’a été constatée sur le corps du jeune homme.

 
« Après huit ans de mauvaise foi judiciaire, la justice reconnaît enfin que l’interpellation violente des gendarmes a causé la mort d’Adama Traoré. Si la chambre de l’instruction respectait la loi, les gendarmes seraient renvoyés devant une juridiction pour être jugés », a réagi l’avocat de la famille Traoré, Me Yassine Bouzrou. Dans son réquisitoire, le procureur a rejeté l’argumentaire de la famille quant à l’accusation de non-assistance à personne en danger au moment où Adama Traoré perdait connaissance, à la fin de son transfert vers la gendarmerie.
 
 

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 20:58
Olivio Gomes tué par un policier
renvoyé aux assises : «La panique
n’exclut pas l’intention homicide»
Dans la nuit du 16 au 17 octobre 2020, Gilles G. a tué de trois balles un automobiliste de 28 ans à Poissy. Mis en accusation pour meurtre aux assises, le gardien de la paix, reconnu comme «excellent tireur» par sa hiérarchie, nie l’«intention homicide». Une rare décision dont il a fait appel.
par Fabien Leboucq
publié aujourd'hui, 14 février à 19h40
 

Affirmations mensongères

 

«Intention homicide»

L’incertaine «sincérité des déclarations»

La police, un «marqueur principal de son identité»

 

 

 
 
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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 20:55

Expulsion « manu militari » de Roms

 

par les habitants à Villeron : l’enquête

 

piétine dénoncent les associations

 

Elles s’alarment de la lenteur de la justice, alors que sept plaintes avaient été déposées après les événements du 5 février 2023. Des habitants avaient mis en fuite des familles roms occupant illégalement un bois dans un climat de menaces et violences, avant de commencer à détruire eux-mêmes le bidonville.

Par Marie Persidat
Le 6 février 2024 à 17h45

Villeron (Val-d'Oise), le 5 février 2023. Après avoir mis en fuite les familles Roms, des manifestants étaient entrés sur le terrain, certains n'hésitant pas à détruire des baraques. Une pelleteuse de la mairie était arrivée ensuite, rasant le bidonville. LP/Marie Persidat

La manifestation du dimanche en famille avait tourné à la démonstration de haine, cet après- midi-là. Le 5 février 2023, quelque 200 personnes avaient mis en fuite des familles Roms installées dans un bois à Villeron (Val-d’Oise), avant de commencer à détruire elles-mêmes les cabanes de fortune. C’est une pelleteuse réservée par la mairie qui avait fini le travail.

Un an presque jour pour jour après cet événement qui avait pris les autorités de court, aucune poursuite n’a encore été engagée. Malgré les nombreuses plaintes déposées notamment par quatre associations de défense des minorités ou de lutte contre le racisme. Trois collectifs s’alarment de cet immobilisme.

« Inacceptable dans un État de droit »

« Ce type d’agissements, qui consiste à intimider et expulser manu militari des familles d’un bidonville, est inacceptable dans un État de droit », écrivent Romeurope, le Mrap (Mouvement conte le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et la Voix des Rroms dans un texte commun. Rapidement après les faits, trois anciens habitants du bidonville avaient porté plainte pour « violences commises en réunion ».

L’association La Voix des Roms et le Mrap avaient également saisi le procureur de la République, ainsi que la Fondation Abbé Pierre et le Collectif national droits de l’homme Romeurope, tous choqués par l’épisode. « Depuis, aucune nouvelle et personne n’a eu encore à répondre devant la justice », déplorent les deux collectifs auteurs du communiqué. Les

militants rappellent pourtant le contexte plus que tendu dans lequel s’est déroulée la fuite des familles Roms, à l’occasion d’une manifestation d’habitants à laquelle participaient le maire et des élus de son conseil.

Alors que résonnent des slogans pour le moins violents – « dehors les Roms », « Villeron n’est pas une poubelle » ou encore « aux armes ! » – des cailloux, pétards et bouteilles de verre ont été jetés. Une dizaine de manifestants s’introduira par l’arrière du bois, à l’intérieur du camp, contournant le cordon de gendarmes.

« Apeurées et en état de choc, les familles vivant sur le bidonville depuis quelques mois sont forcées de prendre la fuite, sous les cris des manifestants », rappellent Romeurope, le Mrap. « Quelques heures plus tard, une pelleteuse réservée au préalable par les services municipaux finit de démolir les baraques et les affaires personnelles des familles précaires. »

« Les gendarmes ont procédé, à ma demande, à un nombre très important d’auditions », assure le procureur

Le procureur de la République du tribunal de grande instance de Pontoise confirme avoir reçu plusieurs plaintes d’associations « qui ont été jointes à l’enquête pour être exploitées par les gendarmes ». Pierre Sennes affirme que « l’enquête confiée à la gendarmerie est toujours en cours. Les gendarmes ont procédé, à ma demande, à un nombre très important d’auditions afin de déterminer précisément le déroulement des faits. Je ferai connaître, quand elle sera prise, ma décision sur l’orientation de cette affaire ».

Cette lenteur inquiète les collectifs qui rappellent que « depuis janvier 2023, la France s’est dotée d’un Plan de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine ». « Entre autres, ce plan vise à lutter contre le non-recours à la justice, en renforçant la confiance des citoyens lors de l’enregistrement des plaintes. Sans nouvelles d’une enquête qui dure depuis un an, nous nous interrogeons sur la volonté de l’appareil judiciaire à répondre aux propos et aux actes antitsiganes du 5 février 2023 à Villeron. Nous souhaitons renforcer la confiance des victimes de l’antitsiganisme en une justice qui devrait les en protéger. »

Des familles à nouveau prises pour cibles par des habitants quelques mois après

Non seulement le dossier n’a pas avancé, mais en plus « l’histoire semble se répéter », déplorent les associations. « En témoignent les insultes, intimidations et menaces qu’ont subies à leur tour les habitants d’un bidonville à Vémars, commune limitrophe de Villeron, en octobre 2023. »

Parmi le petit groupe qui s’était installé le long de l’autoroute A1 il y a quelques mois, se trouvaient quelques anciens membres du bidonville de Villeron. « Ils ont été la cible d’insultes et ont été expulsés deux fois en l’espace de huit mois », pointe Anthony Ikni du CNDH Romeurope.

Contacté, le maire (SE) de Villeron a refusé de répondre à nos questions. Dans son édito du magazine municipal de juin, Dominique Kudla revient longuement sur le nettoyage du bois qui a suivi le départ des Roms et livre une vision sensiblement différente événements de février 2023. « Je vais souligner le comportement exemplaire des membres du collectif qui s’était créé dès la fin janvier pour négocier avec le représentant de cette population et obtenir le 5 février l’évacuation pacifique de la vingtaine d’individus qui n’était pas partie entre le 29 janvier et le 5 février », écrit-il. « Les forces de gendarmerie présentes ont contribué à ce dénouement pacifique. »

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 20:53
Dans des SMS, une policière
du Val-d’Oise se vante de la
fabrication d’un faux procès-verbal

En marge d’un gros dossier de contrefaçon, l’IGPN a découvert une conversation entre une policière et ses parents. Après enquête, le parquet de Pontoise a considéré que l’infraction n’était pas suffisamment caractérisée et a classé sans suite. 

Camille Polloni  8 février 2024 à 09h00

À l’été 2022, Sephora O., 30 ans, est dans la sauce. Cette policière adjointe du commissariat d’Ermont (Val-d’Oise) vient d’être mise en examen pour « corruption », « participation à une association de malfaiteurs » et « violation du secret professionnel ». 

Soupçonnée d’avoir vendu des informations tirées des fichiers de police, elle se retrouve sous contrôle judiciaire, avec l’interdiction d’exercer. La préfecture de police met un terme à son contrat. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a saisi son téléphone. 

Début août, un brigadier de l’IGPN en exploite le contenu. À la lecture, il tombe des nues. Un mois avant son arrestation, dans un échange de messages avec ses parents, la policière adjointe raconte par le menu comment ses collègues vont mentir pour la « couvrir » après un accident avec un scooter, dans lequel elle serait « fautive ».

 

Dans l’après-midi du 22 mai 2022, la voiture sérigraphiée des policiers et un scooter entrent en collision à Sannois, une commune limitrophe d’Ermont.  

À 15 h 31, Sephora O. supplie son père de l’appeler. « Papa appelle stp. Je suis en patrouille j’ai cartonné un scooter en refus d’obtempérer j’ai peur stp. Il est pas mort. On a interpellé 5 mecs pour stupéfiants à cause de ça je dois rendre compte par écrit. Stp. Appelle. » Son père lui fait la leçon, rappelant à sa fille que « quand une personne fait un refus d’obtempérer il s’expose à des risques de mort ou de blessure » et qu’elle n’aurait pas dû poursuivre un scooter qui cherchait à « fuir tout simplement ». « Tu en as rien à foutre qu’il refuse de s’arrêter !!! Laisse-le faire sa life. » 

Quelques minutes plus tard, Sephora O. échange avec sa mère, « probablement suite à un appel », note l’IGPN. « Je dois rendre des comptes là », s’inquiète la policière, qui demande à sa mère de « refai[re] de la sauge dans [sa] chambre » (un remède contre le mauvais sort). À 16 h 02, elle ajoute que ses collègues « sont au téléphone avec les caméras de la ville [le centre de supervision urbain – ndlr] pour supprimer le passage où [elle] fonce sur lui ». Elle confirme à sa mère qu’elle conduisait la voiture et écrit : « Je suis fautive. C’est moi, j’ai foncé sur lui. Alors qu’à la radio [la station directrice – ndlr] ils nous ont interdit de faire le refus d’obtempérer. » 

« Ils ont menti sur le rapport »

Au passage, Sephora O. traite le conducteur du scooter de « sale noir de sale race de mort ». Plus arrangeante que son père, sa mère répond : « C’est bien fait pour lui t’as fait ton taf. » « Dégoûtée » à l’idée d’avoir « des problèmes », Sephora O. ajoute : « Mes collègues me couvrent ils vont tous mentir sur le rapport en disant c’est lui il m’a foncé dedans j’espère ça va pas finir en procédure au tribunal pour tentative d’homicide maman un truc comme ça je meurs je te dis la vérité. » Sa mère la rassure : « Il va rien t’arriver tu verras. » 

Peu avant 19 heures, la mère de Sephora O. vient aux nouvelles et demande à sa fille si « ça va ». « Oui très bien mes collègues ont pris ma défense ils ont tous menti sur le rapport en disant que c’est lui qui a foncé sur moi, répond la policière. J’ai demandé à faire que de l’accueil maintenant parce que on part à Dubaï j’ai pas envie de finir en prison ou garde à vue à cause des racailles on sait jamais. » 

Vu la teneur de ces conversations, le brigadier de l’IGPN entreprend quelques vérifications. Il se procure une copie de la procédure pour « refus d’obtempérer » qui a bien été ouverte au commissariat d’Ermont contre un scootériste non identifié, le 22 mai 2022.  

S’ils confirment l’existence d’un accident entre la voiture et le scooter, deux coéquipiers de Sephora O. ne la positionnent pas au volant, mais sur le siège arrière droit, à côté d’un autre policier adjoint. Le gardien de la paix Sébastien M. se désigne comme le chauffeur, Jérôme M. comme chef de bord (passager avant droit). 

Requis pour contrôler « un groupe de perturbateurs qui consommeraient des produits stupéfiants » sur une esplanade, peu avant 15 heures, les policiers auraient essuyé un refus. Ils racontent avoir vu le conducteur d’un scooter « prendre la fuite », puis faire mine de s’arrêter, avant d’accélérer et « percuter » la portière arrière droite de leur voiture, alors que Sephora O. était en train de l’ouvrir pour mettre pied à terre. 

Placée en garde à vue 

L’équipage n’aurait pas réussi à voir l’immatriculation du scooter, conduit par « un individu de type nord-africain » sans casque, ni à le poursuivre dans une allée piétonne. Les policiers d’un autre équipage, qui se trouvaient derrière leurs collègues, confirment le déroulement des faits. Les policiers d’Ermont ont bien fait une requête au centre de supervision urbain, mais hors délai : les images avaient déjà été écrasées. L’auteur du refus d’obtempérer n’a jamais été retrouvé. 

Sur la foi de ces éléments, l’IGPN soupçonne que les policiers se sont concertés pour mettre au point une version commune, comme l’affirmait Sephora O. dans les messages adressés à ses parents. Cette hypothèse est prise suffisamment au sérieux pour que le parquet de Paris transmette le rapport de l’IGPN au parquet de Pontoise, territorialement compétent.

En octobre 2022, celui-ci ouvre une enquête pour « faux en écriture publique », un crime passible de la cour d’assises, confiée à la cellule déontologie de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Val-d’Oise. Au cours de l’hiver qui suit, Sephora O. est placée en garde à vue, les autres policiers présents entendus en audition libre.

Mi-août 2023, le parquet de Pontoise a finalement classé sans suite cette enquête, estimant que l’infraction était « insuffisamment caractérisée ». Selon Nicolas Brillatz, l’avocat de la policière adjointe, « l’enquête a établi que [sa] cliente avait menti à ses parents, en se présentant auprès d’eux comme la conductrice du véhicule, et non pas dans le procès-verbal litigieux ». Au mois de mars prochain, Sephora O. ne sera jugée que pour le dossier principal, instruit à Paris.

 
 
 
 

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 20:49
Piéton tué par la BRAV-M : des policiers
avaient alerté sur la dangerosité des motards

« Devons-nous attendre un accident mortel pour réagir ? » Deux mois avant la mort d’un piéton en décembre dernier à Paris, une quinzaine de policiers de cette unité décriée avaient dénoncé, en vain, la dangerosité de leurs motards dans des rapports accablants. Depuis plusieurs années, les blessés s’accumulent.

Sarah Brethes 31 janvier 2024 à 08h12

la préfecture de police de Paris, l’annonce, le 12 décembre, de la mort d’un homme de 84 ans, percuté par une moto de la brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) alors qu’il traversait un passage piéton dans le XIXe arrondissement de Paris, n’a pas surpris tout le monde. Notamment dans les rangs des compagnies d’intervention (CI), mobilisées à tour de rôle pour grimper à l’arrière des motos au sein de ces équipages décriés pour leur violence depuis leur création, en 2019, en plein mouvement des « gilets jaunes ».

Casque blanc à l’avant pour le pilote, noir à l’arrière pour son passager, vêtements sombres, motos de sport banalisées : les BRAV-M sont déployées au coup par coup pour des missions de maintien de l’ordre à Paris, et de « sécurisation » dans les quartiers réputés difficiles en banlieue.  

Le 7 octobre 2023, soit un peu plus de deux mois avant la mort du piéton − qui fait l’objet d’une enquête judiciaire pour « homicide involontaire » −, une quinzaine de policiers passagers des BRAV-M avaient transmis à leur hiérarchie des rapports pointant du doigt la dangerosité et l’illégalité de la conduite de leurs collègues.

 
Illustration 1 Des policiers de la BRAV-M lors d’une manifestation contre les violences policières à Paris, le 30 mars 2023. © Photo Raphaël Lafargue / Abaca

Dans ces écrits, consignés au terme d’une journée particulièrement chaotique, ils signifiaient également leur refus de continuer de monter derrière des pilotes décrits comme hors de contrôle, évoquant une accumulation d’accidents et de blessés et des alertes émises auprès de responsables de la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation) de la préfecture de police depuis « des mois voire des années ». Vitesse folle, prise de risques inconsidérée et injustifiée, absence de contrôle hiérarchique : le contenu de ces rapports, consultés par Mediapart, est effarant.

"C’est inadmissible. Les motards ne sont pas conscients des risques qu’ils prennent pour leur propre vie, celles de leurs passagers, et celles des citoyens."  Extrait d’un rapport d’un policier de la BRAV-M

Ce samedi 7 octobre, des équipages de la BRAV-M, dont la devise est « Born to ride » (« Né pour rouler », en anglais), sont affectés à plusieurs missions de sécurisation un peu partout à Paris. Certaines motos sont stationnées au stade Charléty, dans le sud de la capitale, où le Paris Football Club doit affronter l’AJ Auxerre pour un match de ligue 2. D’autres patrouillent place de la Bastille ou boulevard Magenta, près de la place de la République.

En fin d’après-midi, une des unités voit un scooter brûler un feu rouge rue de Bagnolet, dans l’Est parisien. Les policiers tentent d’interpeller le conducteur, qui ne s’arrête pas. L’annonce de ce « refus d’obtempérer » circule sur les ondes et, sans attendre aucun ordre, des motards, même ceux du stade Charléty (à une dizaine de kilomètres de là), décident de se joindre à la course-poursuite.

Le scooter pris en chasse s’engage sur le périphérique saturé, puis sur l’autoroute, où il finit par chuter au niveau de Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Pendant ce temps, les motos de la BRAV-M convergent d’un peu partout dans Paris, à très grande vitesse.

Plus de 180 kilomètres-heure

Dans leurs rapports, les policiers passagers racontent : « Les motards ont décidé de partir à très vive allure, roulant à plus de 100 km/h en ville et slalomant entre les véhicules. Ils ont continué leur progression en interfile à 145 km/h sur un périphérique saturé. C’est inadmissible. Les motards ne sont pas conscients des risques qu’ils prennent pour leur propre vie, celles de leurs passagers, et celles des citoyens. D’autant plus que le Code de la route est complètement bafoué », écrit l’un d’entre eux, qui conclut : « Devons-nous attendre qu’il y ait un accident mortel pour réagir ? »

Un autre relate que le pilote « a dépassé les 180 km/h [...] après avoir pris tous les risques possibles tout en étant conscient qu’à tout moment la moindre collision s’avérerait mortelle ». « Nous arrivons bien évidemment après l’intervention », ajoute-t-il. « Certains pilotes sont partis tellement vite qu’ils ont laissé leur passager sur place, avec le casque d’un passager encore attaché à la moto », précise encore le rapport.

L’un des policiers passagers, équipé pour les opérations de maintien de l’ordre, explique s’être senti particulièrement vulnérable alors que la moto « slalomait entre les différents véhicules à vive allure ». « Après avoir fait part à un motocycliste du danger que représente la prise au vent [d’]un bouclier à de telles vitesses, celui-ci me répondra qu’à ma place il l’aurait lâché », relate-t-il. Un des fonctionnaires explique aussi avoir perdu une grenade goupillée place de la Bastille, et que le pilote aurait refusé de s’arrêter pour qu’il la ramasse… 

Plus grave encore, les policiers passagers des BRAV-M insistent sur le fait que ces comportements, à l’origine de « nombreuses blessures », ont été signalés à la hiérarchie de la DOPC à plusieurs reprises, et ce depuis des années. Sans, visiblement, que les motards aient fait l’objet d’un rappel à l’ordre.

« Il ne se passe pas une vacation sans qu’il n’y ait une chute fortuite, et malgré de nombreuses discussions, rien ne semble changer », se plaint un fonctionnaire. « Il existe depuis de longs mois voire des années des griefs par rapport à leur conduite », explique un autre, évoquant une réunion en juin 2023 provoquée par « des accidents à répétition ». « Malgré de nombreuses blessures en service ainsi que de multiples discussions, il semblerait que les problèmes de comportement persistent et que les risques encourus ne cessent d’augmenter semaine après semaine », dit un troisième.

Pourquoi ces alertes et ces rapports sont-ils restés sans suite pendant des mois ? Selon nos informations, les écrits envoyés par les policiers le 7 octobre n’ont pas été enregistrés par la hiérarchie de la DOPC dans le système de courrier de la préfecture de police, baptisé « Alice », comme le veut la procédure.

Les fonctionnaires auteurs des rapports n’ont été convoqués qu’à la mi-janvier, soit plus de trois mois après les incidents signalés, dans le cadre d’une « procédure d’enquête administrative ». Des convocations tombées, donc, quelques semaines après l’accident qui a causé la mort du piéton dans le XIXe arrondissement.

Selon les informations de Mediapart, les procès-verbaux de convocation à ces auditions sont en effet datés du mois d’octobre, mais ne comportent aucune référence « Alice », ce qui interroge sur la réalité de la temporalité de la procédure.

Le préfet de police pas informé

Un autre détail pose question : l’enquête administrative chargée de faire la lumière sur les incidents du 7 octobre a été confiée à Patrick Lunel, qui n’est autre que… le responsable des motards de la BRAV-M mise en cause par leurs collègues. Patrick Lunel est par ailleurs connu pour avoir été commandant de la CSI 93, la compagnie de sécurisation et d’intervention de la Seine-Saint-Denis, quand elle s’est retrouvée au cœur d’une retentissante série de scandales.

 

 

Une vingtaine d’enquêtes judiciaires avaient été ouvertes en 2019 et 2020 par le parquet de Bobigny pour des faits de vols, violences et faux en écriture publique. La majorité ont été classées faute de preuves, selon une source judiciaire, mais plusieurs des policiers de la CSI 93 ont été renvoyés devant la justice, et certains condamnés à de la prison ferme.

Sollicité via la préfecture de police, Patrick Lunel n’a pas répondu à nos questions.

Interrogée sur le contenu de ces rapports et l’absence de suites, la préfecture de police nous a indiqué que « les rapports des agents, transmis par mail un dimanche, ont été portés sans délai à la connaissance de l’ensemble de la chaîne hiérarchique, l’absence d’enregistrement par numéro ALICE n’ayant aucune incidence sur la remontée et la prise en compte d’information ».

« Le délai de trois mois entre le déclenchement de l’enquête administrative et les premières auditions se justifie par la nécessité d’instruire l’ensemble des rapports, les contraintes opérationnelles, et la programmation de plusieurs actes s’agissant d’une affaire dans laquelle aucun blessé n’est à déplorer et alors même que le préfet de police, dès le 11 octobre, avait reçu l’ensemble de l’encadrement de la BRAV-M pour rappeler les règles de déontologie, notamment la nécessité de circuler à allure normale hors cas d’intervention d’urgence », a-t-elle justifié.  

« Le préfet de police tient à préciser que toute la lumière sera faite sur cette enquête administrative sur des faits qui se déroulaient dans le cadre initial d’un refus d’obtempérer commis par un individu finalement interpellé dans un secteur sensible de Seine-Saint-Denis où ont eu lieu de nombreuses prises à partie d’effectifs et nécessitant l’envoi de renforts dans les meilleurs délais », nous a encore précisé la préfecture.

La hiérarchie de la DOPC a-t-elle dissimulé au préfet la colère qui montait dans les rangs des BRAV-M ? « Le préfet de police a été informé des crispations liées à la vitesse (c’est à ce titre qu’il reçoit les encadrants le 11 octobre), sans être informé précisément du fait du 7 octobre », nous a-t-on répondu. 

"Ils sortent leur béquille sur l’autoroute pour faire des étincelles. Ils font les kékés, ça les amuse." Un policier de la préfecture de police

Autre interrogation : alors que les rapports du 7 octobre font état de « nombreux blessés en service », combien de policiers ont été blessés dans des accidents causés par les motards de la BRAV-M ? « À ce jour, la direction de l’ordre public et de la circulation recense contre les pilotes de la BRAV-M quatre cas de faute lourde de pilotage, avec blessé. Des enquêtes ont été ouvertes pour chacun des cas », indique la préfecture.

Au moins un de ces accidents a eu des conséquences dramatiques. Selon nos informations, une jeune gardienne de la paix affectée dans une compagnie d’intervention a été grièvement blessée en juin 2022 dans un carambolage sur le périphérique parisien au niveau de la porte de la Villette alors qu’elle était passagère dans un équipage de la BRAV-M, accident dont elle conserve de graves séquelles.

À ce sujet, la préfecture de police nous a indiqué que cet accident a fait « l’objet d’une enquête administrative, dont les conclusions ont été rendues : un conseil de discipline doit avoir lieu en mars 2024 ». « Dans l’attente, l’agent en cause a changé d’affectation et n’exerce plus sur la voie publique. L’enquête judiciaire est toujours en cours, elle est effectuée par l’IGPN [Inspection générale de la police nationale – ndlr] », a-t-elle précisé.

« Roues arrière sur le périph’ »

« Le grave accident dont a été victime la jeune policière aurait pourtant dû susciter un électrochoc, souffle un commissaire de la préfecture de police de Paris. Mais ça n’a rien changé, les motards de la BRAV-M continuent de faire des roues arrière sur le périph’ ! » « Ils sortent leur béquille sur l’autoroute pour faire des étincelles. Ils font les kékés, ça les amuse », renchérit un policier, lui aussi en poste à la préfecture.

« Au fil des années, à force d’une série de petits renoncements, un laisser-aller s’est installé, poursuit ce fonctionnaire. Les motards de la BRAV-M, c’est un État dans l’État, il y a un gros sentiment d’impunité. » « Beaucoup sont jeunes, manquent de maturité. Ils sont portés aux nues par leur hiérarchie, et se sentent autorisés à tout faire », confirme le commissaire.

Ni l’accident de la jeune policière ni les rapports du 7 octobre n’ont donc changé quoi que ce soit : le 12 décembre, à proximité de la « base » des motards, porte de la Villette, un de leurs équipages a percuté un passant. Cet homme de 84 ans a été grièvement blessé, souffrant notamment d’un traumatisme crânien. Transporté aux urgences, il est mort le lendemain. Le parquet de Paris avait précisé que l’accident avait eu lieu « vers 16 heures » et que le piéton traversait « au feu vert pour les piétons » tandis que les deux motos de la BRAV-M franchissaient un feu rouge. 

Selon les éléments recueillis par Mediapart, la particularité des BRAV-M est qu’elles peuvent décider de leur mobilisation sans consulter les autorités hiérarchiques de la direction de l’ordre public de la préfecture, dont elles dépendent, comme le démontrent les récits relatés dans les rapports du 7 octobre. Avec un objectif assumé : interpeller.

Depuis le déploiement de cette unité unique en France, créée en 2019 pour intervenir quand les conditions habituelles du maintien de l’ordre sont dépassées − les précédentes brigades motorisées ont été interdites après le décès de Malik Oussekine en 1986 −, la BRAV-M est régulièrement décriée pour ses actions violentes.

Ces binômes de policiers motorisés sont visés par plusieurs enquêtes judiciaires, notamment pour avoir agressé gratuitement un étudiant de 22 ans, ou encore pour avoir, pendant le mouvement contre la réforme des retraites, en mars 2023, roué de coups un jeune homme, Souleymane, 23 ans, tout en proférant des insultes racistes à son égard. Dernière affaire en date : des violences exercées sur un jeune réfugié en décembre, qui font l’objet d’une enquête administrative ouverte par le préfet de police, Laurent Nuñez.

Dans un rapport publié en avril 2023, l’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP), créé à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Syndicat des avocats de France (SAF), avait étrillé ces brigades, décrites comme « violentes et dangereuses, promptes à faire dégénérer les situations ». « La BRAV-M a développé un style qui puise dans les répertoires de la chasse, du film d’action, du virilisme et de l’intimidation », pouvait-on y lire

La mort du piéton en décembre et l’affaire des rapports sur la conduite « très accidentogène » des pilotes deux mois plus tôt viennent une nouvelle fois éclabousser la DOPC, chargée de la sécurisation de l’ensemble des événements et manifestations à Paris et en petite couronne. Elle sera donc sollicitée pour les cérémonies des Jeux olympiques de Paris, qui auront lieu dans six mois.

La DOPC avait déjà été décapitée par l’affaire Benalla, qui avait emporté avec elle plusieurs des pontes de la préfecture. Jérôme Foucaud, un haut gradé sans expérience du maintien de l’ordre, avait alors été propulsé à la tête de cette direction. C’est lui qui avait été responsable du maintien de l’ordre pendant les manifestations des « gilets jaunes », et lui aussi qui avait signé le « télégramme » entérinant le dispositif de sécurisation de la finale de la Ligue des champions en mai 2022, restée dans les mémoires comme un fiasco d’ampleur internationale.

 

 

Selon nos informations, le directeur de l’ordre public avait connaissance, depuis des mois, de la colère qui montait en interne contre les motards de la BRAV-M, sujet qui avait été évoqué au cours de plusieurs réunions. Interrogé à ce sujet via la préfecture de police, Jérôme Foucaud ne nous a pas répondu.

 

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 20:45
Mort d’Olivio Gomes en 2020 :
le policier auteur des tirs renvoyé aux assises

En 2020, Olivio Gomes, un automobiliste de 28 ans, avait été pris en filature par un policier puis touché par des tirs mortels.

Par Le Parisien avec AFP 

Un policier auteur de tirs mortels sur Olivio Gomes, un automobiliste de 28 ans qu’il avait pris en filature, en 2020 à Poissy dans les Yvelines, a été renvoyé lundi devant une cour d’assises pour meurtre, a-t-on appris de source proche du dossier.

Le fonctionnaire de la BAC de nuit de Paris est accusé d’avoir tué Olivio Gomes après l’avoir pris en filature jusqu’en bas de chez lui, dans la cité Beauregard, dans la nuit du 16 au 17 octobre 2020. Durant l’instruction, le policier a reconnu être l’auteur des tirs mais a nié toute intention d’homicide.

La voiture d’Olivio Gomes avait été repérée par le fonctionnaire, âgé de 29 ans au moment des faits, et deux de ses collègues de la BAC, faisant « des embardées entre les voies au milieu d’une circulation importante » sur le périphérique parisien, selon les déclarations des policiers à l’IGPN, la « police des polices », citées dans l’ordonnance de mise en accusation consultée par l’AFP.

Des tirs « disproportionnés »

À bord de la voiture, en plus d’Olivio Gomes, le conducteur, se trouvaient deux passagers de 29 et 33 ans, tous originaires des Yvelines.

Pendant plusieurs kilomètres, les policiers ont suivi la voiture sur le boulevard périphérique puis sur l’A13, sans se faire remarquer. Une première version des policiers évoquait un refus d’obtempérer.

Leur version a été contredite par l’exploitation des caméras de surveillance sur le périphérique, montrant que le véhicule d’Olivio Gomes roulait vite mais sans enfreindre le Code de la route, indique l’ordonnance de mise en accusation.

Le conducteur, sans permis et sous l’emprise de l’alcool et du cannabis, a ensuite immobilisé sa voiture à Poissy, en bas de sa résidence. Expliquant que le conducteur a redémarré et lui a foncé dessus, le policier mis en cause a indiqué avoir ouvert le feu.

Olivio Gomes a été touché par trois tirs : à l’épaule, au cou et à l’omoplate gauche. Le deuxième, fatal, lui a perforé les deux poumons. Une information judiciaire pour meurtre avait été ouverte dès le 21 octobre 2020 et le policier mis en examen et placé sous contrôle judiciaire.

« La famille de M. Olivio Gomes a et continue de faire confiance en la justice », a réagi lundi auprès de l’AFP Me Pape Ndiogou Mbaye, avocat de la famille. Contacté par l’AFP, Me Laurent-Franck Liénard, conseil du policier, a indiqué ne pas être en mesure de s’exprimer, n’ayant pas eu connaissance de l’ordonnance de mise en accusation.

Lors de l’instruction, son client a contesté avoir voulu tuer Olivio Gomes, « indiquant avoir tiré pour protéger sa vie », indique ce document. Mais selon les conclusions de la juge d’instruction, ces trois tirs n’étaient pas une solution « proportionnée ».

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 20:39
Affaire Théo : les trois policiers
condamnés à des peines avec sursis

La cour d’assises de Seine-Saint-Denis a estimé que Marc-Antoine C., Jérémie D. et Tony H. s’étaient rendus coupables de violences illégitimes, mais a écarté la qualification criminelle. Un verdict qui semble satisfaire les deux camps.

Camille Polloni 19 janvier 2024 à 22h05

 
Quand Marc-Antoine C. revient à sa place pour entendre le verdict de la cour d’assises vendredi 19 janvier en fin de journée, après neuf heures de délibéré, son avocat Thibault de Montbrial l’attrape par l’arrière de la nuque et frotte brièvement sa tête contre la sienne. Devant la salle s’est massée une foule plus tendue que les jours précédents, mêlant des policiers en civil, dont des responsables syndicaux, et des soutiens de la famille de Théodore Luhaka. 

La présidente, Caroline Jadis-Pomeau, ne s’éternise pas. Elle lit rapidement les réponses à la vingtaine de questions posées aux jurés. Les trois policiers sont condamnés pour violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique, en réunion et avec arme ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours sur Théodore Luhaka, dit Théo. La cour les déclare coupables mais écarte la qualification criminelle des faits. 

Marc-Antoine C., 34 ans, écope d’un an de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer son métier sur la voie publique ainsi que de porter une arme. Jérémie D., 43 ans, et Tony H., 31 ans, sont condamnés à trois mois de prison avec sursis et deux ans d’interdiction de voie publique et de port d’arme. Pour les trois, la cour retient « la nécessité de [les] éloigner de [leurs] fonctions sur le terrain » pendant un temps, « compte tenu de la nature des faits »

 

À la sortie de la salle, les membres de collectifs contre les violences policières, parmi lesquels Amal Bentounsi, Fatima Chouviat, Samia El Khalfaoui ou encore Amalia, dont le compagnon a été tué par un policier à Sevran en 2022, réclament « du ferme pour la police » et manifestent contre des condamnations trop rares.

Pour sa part, Antoine Vey, l’avocat de Théodore Luhaka, salue une « décision d’apaisement et de victoire », tandis que son adversaire Thibault de Montbrial évoque « l’immense soulagement » de son client, dont la cour a conclu qu’il « n’est pas un criminel ». Marc-Antoine C. risquait jusqu’à quinze ans de réclusion et l’avocat général avait requis une peine de trois ans de prison avec sursis à son égard. 

Cette décision convient aux deux parties. Les policiers écopent de peines relativement légères, en dessous des réquisitions, qui ne devraient pas entraver davantage leur carrière. Pour ce qui est de la victime, qui espérait simplement que les policiers soient « punis », le coup d’estoc à l’origine de sa blessure la plus grave est reconnu comme une violence illégitime. Les condamnés, tout comme le ministère public, ont toutefois dix jours pour faire appel. 

Une dizaine de coups « illégitimes » 

Selon la feuille de motivation transmise à la presse, la cour d’assises conclut que Marc-Antoine C. a porté trois coups illégitimes sur Théodore Luhaka, dont le coup de matraque qui l’a grièvement blessé à l’anus. 

Si l’usage du bâton télescopique de défense était légitime lors de cette interpellation, parce que le jeune homme s’y opposait « de toutes ses forces », elle retient que le geste d’estoc, « bien que conforme aux techniques enseignées à l’école de police », ne pouvait pas être justifié par la légitime défense d’autrui. Au moment où le coup a été porté, il n’est pas démontré que Jérémie D. se serait trouvé « dans une situation de danger de nature à porter atteinte à son intégrité physique ». Les policiers étaient en nombre suffisant pour se passer de ce geste et finaliser l’interpellation. 

Malgré les lésions « particulièrement graves » causées par ce coup, la cour n’a pas de certitude sur leur caractère définitif. Elle écarte donc « l’infirmité permanente » qui fondait les poursuites criminelles. Ce geste violent est requalifié en délit.

La décision considère aussi comme « illégitimes » toutes les violences « commises après la chute de Théodore Luhaka au sol, alors qu’il ne bougeait plus » : un coup de matraque supplémentaire et une gifle de Marc-Antoine C., des coups de gazeuse et une bousculade de Jérémie D. alors que le jeune homme était menotté, considérés comme des gestes « pas strictement nécessaires ni proportionnés », ainsi qu’un coup de poing et un coup de pied portés par Tony H., dont les explications « n’ont pas convaincu la cour et le jury »

Au terme de l'enquête administrative, Tony H. a été blanchi. Jérémie D. et Marc-Antoine C. sont passés en janvier 2021 devant le conseil de discipline, qui a préconisé un simple blâme, mais le ministère de l’intérieur n’a pas encore pris de décision définitive. Dans les affaires de violence, l’administration préfère généralement attendre l’issue judiciaire pour se prononcer, même si les deux procédures sont en théorie indépendantes l’une de l’autre. 

Il est rare que des policiers soient jugés devant une cour d’assises pour des violences, même mortelles, commises dans l’exercice de leurs fonctions (voir l’encadré présent dans cet article). Il est encore plus rare que ces procès devant un jury populaire donnent lieu à une condamnation. 

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