Son nom est aussi barbare que les blessures qu’elle inflige : GLI-F4. Composée de 25 grammes de TNT et d’une charge lacrymogène, cette grenade tutoie les 165 décibels lorsqu’elle explose, soit plus qu’un avion au décollage. Surtout, son effet de souffle ainsi que les multiples résidus projetés mutilent autant qu’ils assourdissent. Las de comptabiliser les blessés, un collectif d’avocats organise une riposte juridique majeure contre cette arme militaire. Arme que la France est d’ailleurs la seule à utiliser en Europe dans le cadre du maintien de l’ordre.

De Notre-Dame-des-Landes hier à Bure, où bat la révolte antinucléaire, de nombreux militants portent les stigmates de la GLI-F4 : membres arrachés, yeux crevés, lambeaux de peau ou de chair lacérés. Comme les autres, la contestation des gilets jaunes ne déroge pas à son quota de mutilés. Combien ? Il est trop tôt pour le dire, mais la violence des affrontements des deux derniers week-ends fera sans nul doute resurgir de nouveaux blessés. «Dans une démocratie, la violence légale doit rester légitime, or la ligne de démarcation a été franchie. Il y a eu un usage indiscutablement disproportionné de la force», tonne l’avocat William Bourdon.

Premier acte de la riposte, l’envoi au Premier ministre, Edouard Philippe, d’un courrier réclamant l’abrogation immédiate du décret autorisant l’usage des GLI-F4. En cas de refus ou d’absence de réponse de la part de Matignon, le collectif introduira des recours devant le tribunal administratif. «Dans un rapport conjoint daté de 2014, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, ainsi que celle de la police nationale, indiquent que ces grenades sont susceptibles de mutiler ou de blesser mortellement», rappelle Raphaël Kempf, un des avocats du collectif. Lors de son passage au ministère de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve avait dressé le même constat.

Par ailleurs, plusieurs plaintes pénales ont été déposées par les blessés que les avocats ont pu identifier. Le premier, Gabriel, 21 ans, a été élu meilleur apprenti de France pour ses compétences en chaudronnerie. Sa main a en partie été arrachée lors de la mobilisation du 24 novembre. «Au moment où la GLI-F4 est lancée, il n’y a absolument aucune hostilité à l’égard des forces de l’ordre. Nous le savons car son frère filme intégralement la scène. Gabriel est venu à Paris en famille, avec sa mère, son frère, sa sœur et son beau-frère. Ils ont tous déjeuné à République avant de se rapprocher des Champs-Elysées. Il n’y avait de leur part aucune intention de se confronter aux policiers», affirme l’avocate de la famille, Aïnoha Pascual. Cette dernière a adressé deux plaintes au parquet de Paris. L’une, concernant Gabriel, pour «violences volontaires avec arme ayant entraîné une infirmité permanente». L’autre, au nom de sa famille, pour «mise en danger de la vie d’autrui.»

La même démarche a été entreprise par Antonio, 40 ans. Ce chargé de clientèle venu de Compiègne (Oise) a, lui, reçu des éclats de GLI-F4 sur le pied. L’un de ses deux conseils, Arié Alimi, s’emporte : «Comme Gabriel, Antonio était venu manifester pacifiquement. Il est inconcevable que la France continue d’employer des armes aussi violentes en maintien de l’ordre. Chaque policier, chaque gendarme de ce pays, doit désormais savoir qu’il peut être tenu pour responsable des blessures infligées s’il utilise des GLI-F4.» Et l’avocat William Bourdon d’embrayer : «Nous attendons désormais du parquet de Paris la même promptitude qu’à l’encontre des casseurs. De gros moyens ont été engagés pour les traduire en comparutions immédiates. Des juges d’instruction doivent être désignés sans délai pour s’attaquer aux violences policières.»

Dernier angle d’attaque : le simple constat qu’un recours massif aux GLI-F4 ne garantit nullement la préservation des biens matériels : «Ces deux derniers week-ends, la casse a été importante. Jeter des GLI-F4 à tout va ne résout rien, estime Arié Alimi. Au contraire, cela accentue le niveau de violence et de ressentiment. L’Allemagne et l’Italie obtiennent des résultats équivalents, voire meilleurs, en maintien de l’ordre. Pourtant, ils n’utilisent que deux armes : les grenades lacrymogènes et le canon à eau.»