Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 décembre 2023 5 29 /12 /décembre /2023 19:53
Un procès pour deux policiers
qui ont tiré sur les occupants d’une voiture 

À Stains, en août 2021, un conducteur et sa passagère avaient été grièvement blessés lors d’un refus d’obtempérer. La juge d’instruction estime que les fonctionnaires de la BAC ont réagi d’une manière « disproportionnée », alors que le véhicule ne représentait plus de danger. 

Deux policiers de la brigade anticriminalité (BAC) de Stains ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Bobigny, mi-décembre, pour avoir tiré à huit reprises sur les occupants d’une voiture lors d’un refus d’obtempérer, le 16 août 2021. Le conducteur, Nordine A., et sa compagne Merryl B. avaient été grièvement blessés par balles. Chacun des deux a subi plus de trois mois d’interruption totale de travail (ITT) et souffre encore de lourdes séquelles. 
 

Dans une ordonnance datée du 12 décembre, révélée par Le Parisien et que Mediapart a également consultée, la juge d’instruction Claire Thépaut écarte la légitime défense invoquée par les policiers. Selon son analyse, ils n’étaient pas non plus dans les clous de la « réforme Cazeneuve » de 2017, ayant élargi les conditions d’ouverture du feu lors des refus d’obtempérer. 

Comme le demandait le parquet, Jonathan F., 32 ans, et Valentin L., 29 ans, devront donc répondre de « violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique, avec arme », lors d’un procès public. Depuis leur mise en examen, à l’automne 2022, leur contrôle judiciaire leur interdit de porter une arme et ils sont affectés dans un service d’investigation de leur commissariat. Risquant jusqu’à cinq ans de prison, ils sont présumés innocents jusqu’à une éventuelle condamnation. 

 

De son côté, Nordine A. a été définitivement condamné à deux ans de prison ferme, le 29 novembre 2022, pour « refus d’obtempérer » et « violences avec arme par destination » (sa voiture). L’homme de 39 ans, qui se qualifie lui-même de « miraculé », a déjà passé deux mois en détention pour ces faits. Compte tenu de son état de santé, la cour d’appel n’a pas prononcé de mandat de dépôt à son encontre et il est aujourd’hui en attente d’un aménagement de peine.

Vers 1 h 30 dans la nuit du 15 au 16 août 2021, à Stains, Nordine A. et Merryl B. rentrent d’un dîner au restaurant. Trois policiers de la BAC décident de contrôler leur Citroën C2 qui « zigzague » à vive allure sur la route. 

Selon eux, le conducteur, « seul occupant visible » du véhicule puisque sa compagne était allongée sur la banquette arrière, les a « regardés avec insistance » à un feu rouge et paraissait alcoolisé. Les analyses sanguines ultérieures montreront qu’il avait 1,31 gramme d’alcool dans le sang et était positif au cannabis. Les policiers lui auraient demandé « s’il était déchiré », ce à quoi Nordine A. leur aurait répondu « oui, et alors », conscient d’avoir affaire à « des keufs »

Au contraire, Nordine A. a toujours soutenu qu’il ignorait avoir affaire à des policiers. Comme en atteste une vidéo amateur diffusée juste après les faits, l’équipage circulait à bord d’une voiture banalisée, sans gyrophare ni deux tons, et aucun des trois fonctionnaires ne portait son brassard « police ».

Pour la juge d’instruction, cette attitude des policiers est « peu compréhensible », « alors même qu’ils réalisent ce contrôle au milieu de la chaussée, sur un axe routier important ». Elle estime toutefois que Nordine A. avait compris qu’il s’agissait d’un contrôle et voulait s’y soustraire, le fait qu’il soit alcoolisé et titulaire d’un permis probatoire offrant « un mobile très plausible » à son refus d’obtempérer. 

Huit tirs en six secondes 

Après avoir réussi à bloquer la voiture de Nordine A. pour qu’elle s’arrête, Valentin L., le chauffeur du véhicule de police, en descend. Il grimpe sur le capot de la Citroën et met un coup de matraque dans le pare-brise pour l’étoiler, sans succès. Il essaie ensuite d’attraper la clé par la fenêtre, côté conducteur, pour couper le contact. 

Alors que le policier est encore agrippé à sa portière, Nordine A. enclenche la marche arrière et percute une Mini Cooper derrière lui. Il passe en marche avant, éjectant Valentin L. de la fenêtre. En 6 secondes 25, ce policier qui n’avait jamais tiré en service de sa vie a fait feu à cinq reprises, tandis que son coéquipier Jonathan F. a tiré trois balles. 

La Citroën termine sa course en s’encastrant dans le véhicule de la BAC. Nordine A. et Merryl B. sont évacués en urgence absolue. Cinq balles ont blessé Nordine A. aux bras, au thorax, à l’aine, à l’abdomen, à la cuisse. Une autre a atteint Merry B. dans le dos. Elle a dû subir une ablation de la rate et une intervention chirurgicale pour mettre un terme à un début de grossesse extra-utérine. Deux munitions n’ont touché que la voiture.

Dans son ordonnance de renvoi, la magistrate constate « l’improvisation » et « l’absence de maîtrise » des policiers dans l’usage de leurs armes, malgré leurs sept et onze ans de métier au moment des faits. Comme l’a noté l’expert balistique, Jonathan F. « avait son collègue dans l’angle de tir » quand il a fait feu « depuis l’arrière dans l’urgence ». Quant à Valentin L., il « s’est mis en danger », au début du contrôle, en passant devant la Citroën et en montant sur le capot. Blessés lors de cette intervention, les deux policiers ont eu sept et dix jours d’ITT. 

Au cours de l’enquête, ils ont maintenu que leurs tirs étaient justifiés par un danger réel et remplissaient les critères de la légitime défense. Une action légale, dont la blessure de la passagère n’est à leurs yeux qu’une « conséquence involontaire et malheureuse »

Personne sur la trajectoire de la voiture

La juge d’instruction a une autre lecture des faits. S’il est « indubitable » que Nordine A. « a eu un comportement très dangereux lors de sa marche arrière », puisqu’il a obligé Jonathan F. à s’écarter et percuté une voiture occupée par une conductrice, tandis que Valentin L. était suspendu à sa portière, « aucun tir n’intervient pendant cette marche arrière », rappelle la magistrate. 

« Les quatre premiers tirs interviennent alors que le véhicule est déjà en train d’effectuer une marche avant », ajoute-t-elle, alors que « personne ne se trouve sur la trajectoire ». Pour se défendre, les policiers ont avancé qu’ils craignaient pour la vie de leur troisième collègue, sans pouvoir le situer précisément. La juge d’instruction écarte cet argument : « Effectuer un tir “dans le doute” ne permet aucunement de respecter le cadre légal de l’usage de l’arme, qui suppose une évaluation du danger. » 

Les tirs ayant touché Nordine A., Merryl B. et leur véhicule « ne peuvent être considérés comme strictement proportionnés et ne répondent pas à l’absolue nécessité », avance la juge d’instruction. En conséquence, l’ordonnance conclut que « l’ensemble des tirs des policiers en réplique, intervenus après cette marche arrière, nombreux et atteignant des zones potentiellement létales » sortent du cadre prévu par la loi et justifient le renvoi des policiers devant le tribunal. 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Vérité et Justice pour Ali Ziri
  • : Halte aux violences policières excessives et disproportionnées! Les droits humains ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la sécurité.
  • Contact

Profil

Recherche

Catégories

Liens