«On ne dissout pas une révolte qui se prépare.» C’est le mot d’ordre des Soulèvements de la terre, ce collectif d’associations écologistes et paysannes depuis sa dissolution par un décret du Conseil des ministres, le 21 juin 2023, à la demande de Gérald Darmanin. Accusé par le décret, «d’incite[r] à la commission de sabotages et dégradations matérielles, y compris par la violence», le mouvement a déposé, par le biais de ses deux avocats Raphaël Kempf et Ainoha Pascuale, deux requêtes distinctes, le 28 juillet 2023, afin de suspendre cette dissolution.
La première, un référé suspension, sera examiné dans l’urgence ce mardi par trois juges des référés du Conseil d’Etat et pourrait aboutir à la suspension temporaire de la dissolution des Soulèvements de la terre. La seconde est un recours au fond, généralement traité dans un délai d’un à deux ans, et qui déterminera la dissolution définitive ou non des Soulèvements de la Terre.
La liberté d’expression et la désobéissance civile en questions
«Nous considérons que plusieurs éléments invalident cette dissolution, explique Me Raphaël Kempf, joint par téléphone. Sur le plan formel, il y a un vice de procédure, puisque les représentants du mouvement [les intellectuels Philippe Descola et Cyril Dion, ndlr] n’ont pas été entendus par l’Etat en amont de la dissolution. Sur le plan du fond, nous considérons que le texte de la loi séparatisme ne permet pas de dissoudre les Soulèvements de la Terre, puisque les Soulèvements de la terre n’ont jamais incité à commettre des actions violentes contre des personnes.»
Cette audience pourrait poser la question de la légitimité des actions de désobéissance civile dans le mouvement écologiste, dans le contexte de la crise climatique. «Ces actions contribuent à l’indispensable sensibilisation du public, ici aux enjeux de l’urgence climatique, fut-ce au prix d’une violation de la loi», expliquent ainsi dans une tribune le Syndicat de la magistrature, le syndicat Solidaires, ou le Syndicat des avocats de France (SAF). Plus encore, elle posera la question de la liberté d’expression : «Un grand nombre de faits reprochés aux Soulèvements de la terre relèvent de vidéos ou de publications relevant de la pure liberté d’expression.» Des motifs qui expliquent le caractère inédit de la contestation du décret de dissolution.
S’il est commun, pour les associations menacées de dissolution, de déposer des recours en référé pour suspendre une dissolution, comme ce fut le cas de Génération identitaire (dont la dissolution n’a pas été suspendue) ou du Groupement antifasciste Lyon et environ, la Gale (dont la dissolution a été suspendue), la configuration est en effet inédite à bien des égards.
20 000 recours déposés
D’une part, dans l’histoire récente, le gouvernement n’a jamais dissous un mouvement d’une telle taille : depuis la naissance du collectif en janvier 2021, près de 150 000 personnes se sont déclarées membres des Soulèvements de la Terre, réparties dans les quelques 180 comités locaux sur tout le territoire. D’autre part, jamais une décision n’avait été contestée aussi massivement. Selon un communiqué des Soulèvements de la Terre, près de 20 000 personnes auraient déposé des recours individuels, soit parfois près de 300 par jour. Un chiffre qui n’est pas confirmé, pour l’heure, par le service de presse du Conseil d’Etat, qui reconnaît cependant l’enregistrement d’un nombre inédit de recours. Outre ces recours individuels, de nombreuses associations et partis, comme Amnesty International, la Ligue des droits de l’Homme, Europe Ecologie – Les Verts ou La France Insoumise (LFI), ont également déposé des recours. «Outre leur nombre, ce qui est inédit est le fait que toutes ces associations déposent des recours en leur nom, c’est-à-dire en tant qu’adhérent aux Soulèvements de la Terre, alors qu’elles n’étaient initialement pas concernées par la dissolution.»
Cette audience intervient dans une séquence de répression des mouvements écologistes par le ministère de l’Intérieur, qui ont notamment abouti à des vagues d’arrestations de militants, en juin 2023, pour leur participation présumée au «désarmement» d’une usine Lafarge à Bouc Bel-Air, le 10 décembre 2022, ou aux manifestations de Sainte-Soline, le 25 mars 2023.
Cette répression accompagne elle-même la forte croissance du mouvement ces derniers mois. Le mouvement a ainsi engrangé 50 000 nouveaux adhérents depuis le décret de dissolution. Prochaine action prévue, la constitution d’un «Convoi de l’eau» qui relierait, à vélo, les communes de Sainte-Soline et Paris du 18 au 27 août 2023, afin de revendiquer un meilleur partage des ressources foncières et aquatiques.
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