Les autorités disposaient de quatre mois pour répondre et éventuellement engager une médiation. Mais la sommation des ONG est restée lettre morte. «Les organisations regrettent ce silence, particulièrement douloureux pour celles et ceux qui subissent au quotidien ces discriminations insupportables», déclarent-elles aujourd’hui en saisissant la plus haute juridiction administrative. L’action de groupe est notamment inspirée de la class action américaine et a été introduite dans la loi en France en 2016. «C’est la première fois que le Conseil d'Etat va être saisi d’une action de groupe», expose le professeur de droit et avocat Antoine Lyon-Caen. Il porte le contentieux devant la justice pour les six ONG avec son confrère Slim Ben Achour et sa consœur Alexandra Denis.
L’Etat déjà condamné
Il va désormais être beaucoup plus délicat pour les autorités de garder le silence. «Cette fois, l’Etat va devoir répondre, et ce ne sera pas sur un plateau télé, ce ne sera pas une annonce gouvernementale, ce sera une réponse officielle qui va l’engager. De notre côté, on va demander au juge, du fait de l’inaction des ministères concernés, d’imposer la réforme que nous proposons», explique Slim Ben Achour. Ce dernier, au terme d’un feuilleton procédural entamé en 2013, a déjà fait condamner l’Etat pour «faute lourde» par la Cour de cassation. Le 9 novembre 2016, elle avait déclaré qu’un contrôle d’identité qui a pour seule base des caractéristiques physiques liées à une origine réelle ou supposée constitue bien une discrimination. Dans une autre affaire similaire, l’Etat a de nouveau été condamné le 8 juin par la cour d’appel de Paris.
Le caractère discriminatoire des contrôles d’identité a aussi été largement étayé par les sciences sociales ces quinze dernières années. En 2009, par exemple, les sociologues Fabien Jobard et René Lévy avaient ainsi observé les pratiques policières dans deux lieux parisiens, la gare du Nord et le quartier des Halles. Ils en avaient conclu que les personnes perçues comme arabes ou noires étaient largement «surreprésentées» parmi les personnes contrôlées. En 2017, le constat est venu du Défenseur des droits. L’autorité administrative indépendante avait estimé dans un rapport que les jeunes hommes perçus comme arabes ou noirs ont «une probabilité vingt fois plus élevée que les autres» d’être contrôlés par la police.