«La police manque de moyens.» Cette affirmation est devenue une évidence au point d’inspirer les arbitrages budgétaires du gouvernement. En effet, on ne compte plus les annonces faramineuses du gouvernement en faveur de la place Beauvau. Avec près de 3 000 policiers et gendarmes supplémentaires pour le seul exercice budgétaire de 2023, le ministère de l’Intérieur devance toutes les autres branches de l’Etat, de loin. Cette priorité accordée aux forces de l’ordre s’inscrit dans l’objectif général de doubler leur présence sur la voie publique à l’horizon 2030. Pour y parvenir le gouvernement ne ménage pas ses efforts. Pas moins de 15 milliards d’argent public frais alimenteront le budget de Beauvau pendant le quinquennat. Une hausse considérable qui représente 66 % du budget annuel du ministère de l’Intérieur.
Pourtant, si le discours sur la paupérisation des forces de l’ordre est partout, il n’apparaît pas dans les comptes de l’Etat. Pour s’en apercevoir, il suffit d’observer la courbe des dépenses publiques pour les services de police, qui rend compte de la dotation des forces de l’ordre. Aux antipodes d’une institution systématiquement dégraissée par des décennies d’austérité, les données montrent que les forces de l’ordre sont le véritable enfant chéri des gouvernements depuis près de trente ans. Sur cette période, leurs moyens ont augmenté d’environ 35 %. En dépassant substantiellement l’évolution du budget général de l’Etat, cette trajectoire traduit un renforcement politique de l’Intérieur par rapport aux autres portefeuilles ministériels.
Amélioration des conditions de travail et de salaire
Ce gonflement financier est allé de pair avec un renforcement conséquent des effectifs. A nouveau, un regard sur le moyen terme est instructif. Comparés aux années 90, les effectifs combinés de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la police municipale affichent une hausse de 30 %. Depuis 2015, la France bat chaque année un nouveau record du nombre des forces de l’ordre. Un ordre de grandeur peut aider à prendre la mesure de la situation : rapporté à sa population, la France dispose aujourd’hui de plus de policiers qu’un régime autoritaire comme la RDA en 1962.
En parallèle, les forces de l’ordre ont connu une amélioration des conditions de travail et de salaire sans équivalent dans le service public, qui met à mal l’hypothèse d’un manque d’attractivité du métier. Dès 2013, la Cour des comptes souligne que les policiers sont en moyenne mieux rémunérés que les autres fonctionnaires de la même catégorie. En 2018, elle a mis en évidence que les policiers ont bénéficié d’une série d’autres mesures améliorant la rémunération et le déroulement des carrières. Dans la même veine, la dotation en moyens d’intervention est en hausse très nette. Depuis 2016, chaque année, ces dépenses, comprenant les armes, l’habillement, les moyens de protection et les véhicules, représentent plus que le double du niveau de 2012. Parmi les acquisitions d’armes, il est particulièrement notable que la catégorie des armes non létales affiche, selon les données de la Cour des comptes, une augmentation supérieure à 75 % sur la seule période de 2012 à 2017. C’est précisément ce type d’armement qui se trouve sous les feux de la critique depuis le mouvement des gilets jaunes, pour avoir produit un nombre important de blessés, mutilés, et même de morts.
Travers discriminatoires
Ces violences peuvent difficilement être attribuées à une baisse du niveau de formation des forces de l’ordre. Tout d’abord, leur niveau d’éducation formelle a substantiellement augmenté : en 1982, 4 % des gardiens de la paix avaient le bac et 15 % des officiers un bac + 2 ; en 2003, ils étaient respectivement 63 % et 50 %. De la même manière, la formation professionnelle a, de fait, peu évolué. Mis à part les années 2016, 2020 et 2021, où sa durée a été effectivement réduite, elle reste stable. Enfin, étant donné que l’institution en tant que telle est associée à des actes racistes réguliers et des dizaines de milliers de manifestants blessés, comme l’attestent des études récentes, il est permis de questionner sa capacité à organiser un encadrement dépourvu de travers discriminatoires.
A l’heure où la police fait l’objet de critiques croissantes concernant les violences et les discriminations auxquelles elle expose la population, l’Etat semble, par ses choix budgétaires, récompenser ces comportements. Ce gonflement financier est d’autant plus surprenant que la France est un pays assez calme. Les données des enquêtes de victimation – seule source crédible en la matière – indiquent que la délinquance est stable depuis trente ans. Et la police n’y est pour pas grand-chose. Comme le souligne l’éminent spécialiste de la police, le politologue américain David H. Bayley, «la police n’empêche pas le crime. [Elle] prétend qu’elle est la meilleure défense de la société contre le crime et argue en continu que, si elle obtient plus de ressources, en particulier des effectifs, elle sera en mesure de protéger la population contre le crime. C’est un mythe.» A quoi bon alimenter le mythe ?