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22 janvier 2021 5 22 /01 /janvier /2021 10:02
 
En Guadeloupe, le décès d’un homme après un
contrôle de gendarmerie suscite l’incompréhension
22 janvier 2021 Par Marion Briswalter

Le 21 novembre, un Guadeloupéen de 67 ans a été admis en « détresse respiratoire » et état de « tétraplégie » aux urgences de Pointe-à-Pitre après un « contrôle routier » opéré par deux gendarmes. L’homme est aujourd'hui décédé. Une enquête judiciaire est ouverte « contre X » pour « homicide involontaire ».

Une tension glaçante baigne la commune de Deshaies depuis le 21 novembre 2020, date à laquelle Claude Jean-Pierre, ancien maçon de 67 ans, a été contrôlé par deux gendarmes. Quelques minutes après l’interpellation, il est envoyé en urgence au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre en « détresse respiratoire » et état de « tétraplégie » selon sa famille et leurs avocats. Le jeune retraité décédera douze jours plus tard, le 3 décembre. Fait rare, l’intervention des deux militaires auprès de l’homme alors qu’il était au volant de sa voiture et venait de se garer à leur demande a été filmée de manière fortuite par une caméra de vidéosurveillance de la mairie de Deshaies. Selon le gendre du défunt, Christophe Sinnan-Ragava, qui a eu accès à l’enregistrement de la scène mais que Mediapart n’a pas pu regarder, Claude Jean-Pierre a été extrait avec « violence » de son véhicule par les « deux gendarmes », auteurs du « contrôle routier ».

Claude Jean-Pierre est mort à 67 ans. © DR

Selon le récit qu’il dresse à Mediapart des images qu’il a visionnées, les agents donnent l’impression de parler de manière apaisée avec l’homme, puis « un agent fait deux fois le tour du véhicule et met son bras à l’avant, côté passager, comme pour récupérer les clés de la voiture. Alors que l’un discute avec mon beau-père, l’autre va chercher un gilet pare-balles », puis « les gendarmes sont entrés tous les deux dans l’habitacle du véhicule. On ne voit pas bien ce qui se passe dedans, mais on voit la voiture qui bouge comme sous un choc, et on voit que mon beau-père est extrait mais vraiment violemment du véhicule. Dès qu’il est sorti de la voiture, il est complètement inerte, il a les bras et les jambes qui pendouillent comme quelqu’un de mort. Ça a été très rapide et très violent. […] Il n’y a pas trop de place au doute ».

Sur la vidéo, « mon père apparaît comme très coopérant » estime Fatia Alcabelard, qui dit n’avoir pas été capable émotionnellement de regarder les images dans leur ensemble.

Dans un communiqué de presse du 19 janvier, un « collectif » de six avocats qui représente la famille a aussi dénoncé un « choc de la tête de la victime sur la portière et une chute au sol dans la réalisation de l’extraction ».

Lundi 18 janvier, le nouveau procureur de Basse-Terre, Xavier Sicot, qui prend l’affaire en route, a donné une conférence de presse. À Mediapart, il a déclaré au contraire que les images ne montreraient « pas d’action de violence volontaire des gendarmes. Les éléments ne permettent absolument pas d’aller dans cette voie-là. C’est une évidence ». Deux visions d’une même scène sont ici en train de se heurter de manière étonnante. Selon le procureur, « on invite M. Jean-Pierre à sortir de son véhicule. On le prend au niveau du bras, mais on ne rentre pas dans le véhicule ». Le procureur ajoute néanmoins que « la vidéo est ce qu’elle est, elle sera peut-être étudiée plus précisément par captures d’écran ».

Xavier Sicot poursuit : « Manifestement, M. Jean-Pierre présentait des signes d’alcoolisation. Les gendarmes veulent le mettre en sécurisation. Cette personne est récalcitrante et ils font en sorte de la sortir de son véhicule. » « Une personne récalcitrante n’est pas facile à sortir de son véhicule. […] Gendarme n’est pas un métier facile », croit nécessaire d’ajouter, le procureur.

Une enquête judiciaire a été ouverte le 10 décembre par le parquet de Basse-Terre « contre X » pour « homicide involontaire ». L’enquête est confiée à une juge d’instruction. Une commission rogatoire est en cours, confiée à la brigade de recherche de Pointe-à-Pitre. Les gendarmes n’ont pas encore été entendus.

Le 21 novembre était un samedi. Ce jour-là, après le déjeuner, une nièce de Claude Jean-Pierre est appelée en urgence par les pompiers intervenus sur les lieux du « contrôle routier ». D’après son témoignage que nous avons recueilli, les pompiers lui disent que son oncle vient d’être pris d’un « malaise ». Ils la pressent de venir au plus vite.

Avec 4 000 habitants, Deshaies est un petit bourg et tout le monde se connaît. La nièce déboule sur place : « Mon oncle était étendu à terre sous le soleil, sur le goudron [à 14 heures – ndlr], ça chauffait et c’est moi en arrivant qui ai dit : “Mais enfin il faut le protéger”, alors je suis allée chercher un parapluie pour l’abriter », raconte la femme de 31 ans. « Il avait les yeux ouverts, il ne parlait plus, ne bougeait plus […] j’ai remarqué qu’il avait un hématome en haut du nez. Je l’ai fait remarquer à un gendarme qui m’a répondu :“Non non, ce n’est rien, il va se remettre debout, il a eu un coup de stress parce qu’il nous a vus”. L’un d’eux insistait en disant que mon oncle puait l’alcool, il était très méprisant, même un peu agressif », poursuit la femme.

Selon les propos de cette nièce, Claude Jean-Pierre, diabétique, aurait alors perdu connaissance à deux reprises, sur la chaussée, avant l’arrivée des services mobiles d’urgence. Contactée, la gendarmerie de Deshaies n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Après avoir été admis en réanimation au CHU en « détresse respiratoire » et présentant des « hématomes », une « luxation cervicale » et un état de « tétraplégie », selon les déclarations de la partie civile, Claude Jean-Pierre est placé en « coma artificiel » et intubé. Il décédera le 3 décembre et sera enterré neuf jours plus tard.

Un rapport d’expertise médicale complémentaire à l’autopsie qui a conclu à un décès par syndrome de « défaillance multiviscérale » est réclamé par les avocats, explique Me Maritza Bernier.

« La population est en colère, elle se pose beaucoup de questions », témoigne la nièce de Claude Jean-Pierre. Cet état d’esprit incarne la forte agitation qui tend la commune, et par-delà, une grande partie des Guadeloupéens. Fin novembre, face à ce qui leur semblait être une enquête conduite de façon douteuse et peu dynamique par le parquet de Basse-Terre, seize organisations syndicales, politiques et associatives avaient convergé en un « comité de soutien » (« Kolektif Gwadloup kont violans a jandam ») réclamant « justice » et « transparence ».

« Entre la Guadeloupe et la gendarmerie, c’est une histoire de sang. C’est intrinsèquement lié à notre histoire coloniale, […] on a une certaine suspicion face aux agissements de la police et de la gendarmerie », commente Jean-Jacob Bicep, ancien député européen et membre du Kolektif.

Si Xavier Sicot a pris la parole devant les médias ce lundi, on comprend que c’est pour tenter de contenir le feu qui couve. « La justice fait son travail. La famille a accès au dossier. Le travail va se faire, il faut laisser du temps au juge d’instruction. Il y a eu une autopsie mais on demandera probablement d’autres investigations derrière », assure-t-il à Mediapart.

Saisie par la famille le 14 décembre, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a répondu – dans un courrier que nous avons consulté – qu’elle n’interviendrait pas de son propre chef mais « exclusivement sur réquisitions des magistrats compétents ». En parallèle d’une enquête pénale, une enquête administrative – pouvant déboucher sur des sanctions disciplinaires – aurait cependant pu être ouverte par l’IGGN.

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