Le 21 novembre, un Guadeloupéen de 67 ans a été admis en « détresse respiratoire » et état de « tétraplégie » aux urgences de Pointe-à-Pitre après un « contrôle routier » opéré par deux gendarmes. L’homme est aujourd'hui décédé. Une enquête judiciaire est ouverte « contre X » pour « homicide involontaire ».
Claude Jean-Pierre est mort à 67 ans. © DR
Sur la vidéo, « mon père apparaît comme très coopérant » estime Fatia Alcabelard, qui dit n’avoir pas été capable émotionnellement de regarder les images dans leur ensemble.
Dans un communiqué de presse du 19 janvier, un « collectif » de six avocats qui représente la famille a aussi dénoncé un « choc de la tête de la victime sur la portière et une chute au sol dans la réalisation de l’extraction ».
Lundi 18 janvier, le nouveau procureur de Basse-Terre, Xavier Sicot, qui prend l’affaire en route, a donné une conférence de presse. À Mediapart, il a déclaré au contraire que les images ne montreraient « pas d’action de violence volontaire des gendarmes. Les éléments ne permettent absolument pas d’aller dans cette voie-là. C’est une évidence ». Deux visions d’une même scène sont ici en train de se heurter de manière étonnante. Selon le procureur, « on invite M. Jean-Pierre à sortir de son véhicule. On le prend au niveau du bras, mais on ne rentre pas dans le véhicule ». Le procureur ajoute néanmoins que « la vidéo est ce qu’elle est, elle sera peut-être étudiée plus précisément par captures d’écran ».
Xavier Sicot poursuit : « Manifestement, M. Jean-Pierre présentait des signes d’alcoolisation. Les gendarmes veulent le mettre en sécurisation. Cette personne est récalcitrante et ils font en sorte de la sortir de son véhicule. » « Une personne récalcitrante n’est pas facile à sortir de son véhicule. […] Gendarme n’est pas un métier facile », croit nécessaire d’ajouter, le procureur.
Une enquête judiciaire a été ouverte le 10 décembre par le parquet de Basse-Terre « contre X » pour « homicide involontaire ». L’enquête est confiée à une juge d’instruction. Une commission rogatoire est en cours, confiée à la brigade de recherche de Pointe-à-Pitre. Les gendarmes n’ont pas encore été entendus.
Le 21 novembre était un samedi. Ce jour-là, après le déjeuner, une nièce de Claude Jean-Pierre est appelée en urgence par les pompiers intervenus sur les lieux du « contrôle routier ». D’après son témoignage que nous avons recueilli, les pompiers lui disent que son oncle vient d’être pris d’un « malaise ». Ils la pressent de venir au plus vite.
Avec 4 000 habitants, Deshaies est un petit bourg et tout le monde se connaît. La nièce déboule sur place : « Mon oncle était étendu à terre sous le soleil, sur le goudron [à 14 heures – ndlr], ça chauffait et c’est moi en arrivant qui ai dit : “Mais enfin il faut le protéger”, alors je suis allée chercher un parapluie pour l’abriter », raconte la femme de 31 ans. « Il avait les yeux ouverts, il ne parlait plus, ne bougeait plus […] j’ai remarqué qu’il avait un hématome en haut du nez. Je l’ai fait remarquer à un gendarme qui m’a répondu :“Non non, ce n’est rien, il va se remettre debout, il a eu un coup de stress parce qu’il nous a vus”. L’un d’eux insistait en disant que mon oncle puait l’alcool, il était très méprisant, même un peu agressif », poursuit la femme.
Selon les propos de cette nièce, Claude Jean-Pierre, diabétique, aurait alors perdu connaissance à deux reprises, sur la chaussée, avant l’arrivée des services mobiles d’urgence. Contactée, la gendarmerie de Deshaies n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Après avoir été admis en réanimation au CHU en « détresse respiratoire » et présentant des « hématomes », une « luxation cervicale » et un état de « tétraplégie », selon les déclarations de la partie civile, Claude Jean-Pierre est placé en « coma artificiel » et intubé. Il décédera le 3 décembre et sera enterré neuf jours plus tard.
Un rapport d’expertise médicale complémentaire à l’autopsie qui a conclu à un décès par syndrome de « défaillance multiviscérale » est réclamé par les avocats, explique Me Maritza Bernier.
« La population est en colère, elle se pose beaucoup de questions », témoigne la nièce de Claude Jean-Pierre. Cet état d’esprit incarne la forte agitation qui tend la commune, et par-delà, une grande partie des Guadeloupéens. Fin novembre, face à ce qui leur semblait être une enquête conduite de façon douteuse et peu dynamique par le parquet de Basse-Terre, seize organisations syndicales, politiques et associatives avaient convergé en un « comité de soutien » (« Kolektif Gwadloup kont violans a jandam ») réclamant « justice » et « transparence ».
« Entre la Guadeloupe et la gendarmerie, c’est une histoire de sang. C’est intrinsèquement lié à notre histoire coloniale, […] on a une certaine suspicion face aux agissements de la police et de la gendarmerie », commente Jean-Jacob Bicep, ancien député européen et membre du Kolektif.
Si Xavier Sicot a pris la parole devant les médias ce lundi, on comprend que c’est pour tenter de contenir le feu qui couve. « La justice fait son travail. La famille a accès au dossier. Le travail va se faire, il faut laisser du temps au juge d’instruction. Il y a eu une autopsie mais on demandera probablement d’autres investigations derrière », assure-t-il à Mediapart.
Saisie par la famille le 14 décembre, l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) a répondu – dans un courrier que nous avons consulté – qu’elle n’interviendrait pas de son propre chef mais « exclusivement sur réquisitions des magistrats compétents ». En parallèle d’une enquête pénale, une enquête administrative – pouvant déboucher sur des sanctions disciplinaires – aurait cependant pu être ouverte par l’IGGN.