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7 février 2020 5 07 /02 /février /2020 14:32

https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/27/la-vie-d-amine-z-suspect-du-18e-etage-assigne-a-residence_6027402_3224.html

« Quand ils me voient, mes voisins passent leur
chemin, je suis le suspect du 18e étage » : la vie
d’Amine Z., assigné à résidence

L’homme de 28 ans fait l’objet d’un contrôle permanent depuis neuf mois sur la foi d’une note de la DGSI, dont il conteste la pertinence.

Par Publié le 27 janvier 2020 à 15h00 - Mis à jour le 27 janvier 2020 à 16h18

 

Depuis quelques mois, les matins d’Amine Z. se ressemblent tous, à peu de chose près. Du lundi au dimanche, à 9 h 30, il sort de son appartement au 18étage d’une tour de Drancy (Seine-Saint-Denis), parcourt les vingt minutes qui le séparent du commissariat, patiente dans la file d’attente et pénètre dans le petit bâtiment vitré. A l’intérieur, il attend au milieu des prospectus et des affiches incitant à la lutte contre la radicalisation islamiste. Quand son tour vient, il écarte les bras et les jambes pour une fouille au corps, signe le registre et ressort. Le rituel est achevé, la journée peut commencer.

Amine Z. fait partie des 222 personnes qui en France font – ou ont fait – l’objet depuis le 1er novembre 2017 d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance – Micas, l’acronyme qui désigne les assignations à résidence prononcées afin de prévenir la commission d’actes de terrorisme. Selon les services de renseignement, ce jeune Algérien de 28 ans « constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Ce qu’il conteste.

Attablé à un café de Drancy, Amine Z. se passe les mains sur le visage : « Je suis un petit voyou, ça d’accord. Mais il ne faut pas me faire porter des vêtements trop grands pour moi : je ne suis pas un terroriste, je ne le serai jamais. » Depuis plus de huit mois, il n’a pas le droit de quitter le territoire de la commune de Drancy sans sauf-conduit, un document délivré au compte-gouttes par le ministère de l’intérieur. Il doit également pointer tous les jours au commissariat et il a interdiction d’entrer en contact avec une douzaine de personnes dont il assure ne pas connaître la moitié.

Participation à des cours de boxe

La Micas fait partie des mesures votées en 2017 dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme qui avait transposé une partie de l’état d’urgence dans le droit commun. A l’époque, ce dispositif d’assignation à résidence, qui peut être prolongé pendant un an sans intervention du juge judiciaire, avait provoqué des remous à l’Assemblée nationale pour son aspect potentiellement liberticide. Il avait donc été mis en place temporairement, jusqu’au 31 décembre 2020. Les députés vont devoir voter sa prolongation au premier semestre.

Pour Amine Z., le cauchemar a commencé à sa sortie de prison le 4 mai 2019. Après un passage de quelques mois à Fleury-Mérogis (Essonne) pour un vol avec effraction, il se voit notifier par le ministère de l’intérieur son placement sous Micas. La décision, renouvelée à deux reprises depuis, a été prise sur la foi de notes de la direction générale de la sécurité intérieure et du service national du renseignement pénitentiaire.

Ces documents, que Le Monde a pu consulter, dépourvus de date, de signature, ou de tout élément d’identification, dressent un portrait inquiétant du jeune homme. Les accusations reposent essentiellement sur sa participation à des cours de boxe dans un parc du 13e arrondissement de Paris à deux reprises lors de l’été 2014. Ceux-ci étaient dispensés par Thierry Valorus, un recruteur djihadiste, condamné à neuf ans de prison après un séjour en Syrie à l’automne 2014.

Ambiance délétère

A l’époque, Amine Z. vit depuis peu en France. Parti d’Algérie à 18 ans pour fuir un père violent et une vie sans lendemain, raconte-t-il, il a traversé l’Europe à pied, en entrant par la Turquie. Comme nombre de jeunes migrants, il a goûté à la prison au passage, notamment en Grèce – « à côté, la prison en France c’est la crèche ! », lâche-t-il. Le projet initial est de rejoindre sa grand-mère en Belgique, mais il échoue dans le quartier de Barbès, à Paris, au gré des rencontres. « J’ai eu ma mère au téléphone, elle était rassurée. Elle est amoureuse de la tour Eiffel, elle m’a dit : “C’est bon, tu es arrivé au pays des droits de l’homme.” »

Dépourvu de papiers et hébergé par un ami de la famille, il essaie d’apprendre le français et de rencontrer des gens. Il assure que, cherchant à faire du sport, il a eu vent de ces cours de boxe gratuits sur Facebook à l’été 2014, sans rien savoir de l’engagement de Thierry Valorus, à qui il aurait à peine adressé la parole. Trouvant l’ambiance délétère, il dit avoir décidé de ne pas y retourner après seulement deux sessions et n’a plus jamais été en contact avec lui ou l’un de ses élèves.

Placé en garde à vue en mars 2015 et perquisitionné, Amine Z. n’a fait l’objet d’aucune poursuite judiciaire. L’exploitation de ses téléphones et ordinateurs n’a pas permis de mettre en lumière une activité djihadiste ou un lien avec le groupe de Thierry Valorus, lui-même incarcéré à partir de la fin de l’année 2014. Une deuxième perquisition menée en décembre 2016, devant sa femme et son fils, ne donnera pas plus de résultats.

Contacts suspects à l’extérieur de la prison

Mais le soupçon initial demeure. Et c’est sur cette base que les renseignements dépeignent l’environnement « djihadiste » du jeune homme. N’a-t-il pas été en détention (pour des faits de droit commun) avec des islamistes radicaux ? Le document des renseignements décrit par le menu les affinités religieuses radicales des personnes qu’il croise en promenade, en classe ou même avec qui il est placé en cellule. « On me reproche d’être avec des gens, mais moi je n’ai pas choisi d’être là !, s’insurge-t-il. En prison, il y a les terroristes connus, on ne leur adresse pas la parole. Mais les autres, je n’ai aucune idée de pourquoi ils sont là. »

Les renseignements notent également que la « bibliothèque » de sa cellule – quatre livres – n’est composée que d’ouvrages religieux (parmi lesquels deux versions du Coran et un livre sur le tabac et l’alcool). « Ces éléments certes ténus sont à mettre en perspective avec l’affichage au mur de sa cellule des horaires de prière, d’un drapeau Bismillah Al-Rahman Al-Rahimi [« Au nom de Dieu le clément et le miséricordieux »] et la présence d’un tapis de prière », indiquent les renseignements. A l’appui de sa démonstration, l’auteur de la note ajoute qu’Amine Z. s’est « régulièrement entraîné à des techniques de combat et à la boxe ».

Enfin, le document dresse une liste de ses contacts suspects à l’extérieur de la prison. Son voisin de palier, à qui il a désormais interdiction d’adresser la parole, est selon la note un islamiste radical. Tout comme le gérant et l’employé du taxiphone situé en bas de son précédent logement. Il est reproché à Amine Z. d’avoir croisé ce dernier sur des marchés où il vendait des produits, quand bien même aucun contact approfondi n’a été établi entre les deux hommes. S’ensuit également une série de noms d’islamistes de Seine-Saint-Denis, que le jeune homme assure ne pas connaître.

« Les juges se rejettent la responsabilité »

Pour MLucie Simon, la défense d’Amine Z. relève de l’impossible.

« On est face à la toute-puissance de la “note blanche” des renseignements qui accuse mon client de lien avec des organisations terroristes sans apporter aucun élément tangible. C’est à nous de prouver son “innocence”. Mais comment démontrer qu’on ne connaît pas quelqu’un, par exemple ? Les magistrats reprennent in extenso les notes dans leurs décisions, ce renversement de la charge de la preuve est insurmontable. »

Depuis neuf mois, l’avocate enchaîne bénévolement les recours devant toutes les juridictions possibles, sans succès. Jusqu’au Conseil d’Etat, le 10 janvier, qui a rendu une ordonnance de rejet de la demande du jeune homme. Amine Z. ne comprend pas : « Ils m’ont perquisitionné, emmené mes affaires, pris mon téléphone, ils n’ont jamais rien trouvé contre moi. Mais les juges se rejettent la responsabilité parce que le mot terrorisme, ça fait peur. »

Devant la plus haute juridiction administrative, il a plaidé longuement sa cause. Il a raconté la mort sociale que représente la Micas. « Je suis grillé. Quand ils me voient, mes voisins passent leur chemin, je suis le suspect du 18étage, le mec radical », explique-t-il au Monde.

La dernière reconduction de sa Micas lui a été apportée en main propre un soir par la police, alors qu’il devait se rendre au commissariat le lendemain matin. Il raconte avoir été plaqué au sol pour signer le document, devant ses enfants. Au commissariat, il assure subir des humiliations. « J’ai tellement peur. J’ai l’impression que si j’éternue ou que par réflexe je réponds à mon téléphone portable dans ma poche, ils vont me tirer dessus. Ils me considèrent comme un terroriste », a-t-il confié à son avocate.

Violation de l’assignation

Difficile dans ces conditions de trouver un travail pour faire vivre sa famille. Impossible de faire les marchés ou les livraisons en restant à Drancy. Il a bien eu quelques propositions dans la restauration, mais les employeurs se rétractent en apprenant son statut. « Si je reste chez moi les bras croisés, je suis un homme inutile », lâche-t-il en racontant les déboires de son couple qui bat de l’aile. « La Micas a plongé mon client dans un quotidien d’une misère et d’une violence inouïes », souligne son avocate.

Amine Z. reconnaît avoir désobéi aux termes de son assignation à résidence pour aller travailler dans un restaurant à Sevran, une commune voisine, afin de nourrir ses enfants. Contrôlé sur la route par les forces de l’ordre, il a tenté de s’en sortir en donnant un faux nom. Au commissariat, les policiers ont trouvé dans son téléphone des photos de lui avec ses enfants au parc zoologique de Thoiry dans les Yvelines. Usurpation d’identité et violation de l’assignation… Retour à la case prison pour quelques semaines et nouvelle prolongation de la mesure d’assignation.

Pour le ministère de l’intérieur, le comportement d’Amine Z. témoigne d’une mauvaise foi et d’une volonté de dissimulation de ses véritables intentions. Dans son mémoire destiné au Conseil d’Etat, la représentante de la Place Beauvau Pascale Léglise, appuyée par les services de renseignement, juge la Micas indispensable. Elle assure que le jeune homme est « toujours inscrit dans sa haine pour la République » et qu’il « cherche à contourner les mesures de surveillance dont il fait l’objet ».

« Les assignations sont une fabrique du terrorisme »

L’avocate du jeune homme voit au contraire dans la Micas un cercle vicieux qui crée « un système autosuffisant d’illégalité », générant ses propres infractions et justifiant ainsi son renouvellement :

« Il est dans une situation invivable. On lui colle une étiquette de djihadiste sur le front en 2019 pour des cours de boxe pris en 2014… Qu’est-ce qu’on cherche ? Sans le vouloir, nous créons les conditions de stigmatisation et de marginalisation qui font le terreau de la radicalisation violente. Les assignations à résidence sont une fabrique du terrorisme. »

Amine Z. assure qu’il n’en arrivera pas là. « Les terroristes ne sont pas des musulmans. Ce sont des tarés, il faut les mettre à part », explique-t-il. Il confie en revanche « avoir pensé à la mort ». Son visage est depuis peu marqué par les boutons et les plaques rouges. Un autre poids pèse sur ses épaules. La préfecture envisage de le renvoyer en Algérie pour menace à l’ordre public. La commission d’expulsion avait pourtant émis un avis défavorable étant donné la présence en France de sa compagne, de ses deux enfants et l’imminence de l’arrivée du troisième.

Il couche par écrit son quotidien, sur les conseils de son avocate. Il envoie des lettres aux magistrats, au ministère de l’intérieur, et même au président de la République. Souvent, il s’évade dans sa tête, dit-il, en échafaudant des scénarios dont il est le héros. Sur le ton de la confidence, il glisse en regardant autour de lui : « Parfois je voudrais être témoin d’un attentat pour pouvoir intervenir et sauver les gens, pour prouver à tout le monde que je ne suis pas un terroriste. »

LA«MICAS»

La mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas) fait partie des dispositions votées, en 2017, dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui avait transposé une partie de l’état d’urgence dans le droit commun. A l’époque, ce dispositif d’assignation
à résidence, qui peut être prolongé pendant un an sans intervention du juge judiciaire, avait provoqué des remous à l’Assemblée nationale pour son aspect potentiellement liberticide.
Il avait donc été mis en place temporairement, jusqu’au 31 décembre 2020. Les députés vont devoir voter sa prolongation au premier semestre.

 

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