«Ce n’est plus un avocat de flics, c’est un avocat de faux flics !» La plaisanterie, lâchée par un confrère, résume bien la bizarrerie de l’affaire. En boucle depuis 72 heures sur les radios et les plateaux télé, Me Laurent-Franck Lienard, incontournable allié des poulets, assure la défense d’Alexandre Benalla, ex-collaborateur proche d’Emmanuel Macron. Comment l’un des meilleurs avocats de flics de France s’est-il retrouvé à représenter le bodyguard, mis en examen notamment pour «port public et sans droit d’insignes réglementés» ? Le conseil de 52 ans n’y voit aucune contradiction, pas même un début d’ironie. Et de rappeler les fondamentaux, droit dans ses bottes : «Ce n’est pas parce qu’on défend quelqu’un qu’on endosse la responsabilité de ses actes.»

 

Rien de surprenant non plus, quand on sait que l’avocat établi à Pontoise connaît bien Alexandre Benalla, rencontré par le biais d’amis communs il y a quelques années. «Un mec bien», «un gars brillant». Dont la première apparition lui avait fait forte impression : «C’était étonnant à son jeune âge d’être déjà à ce niveau-là.» En 2016, c’est d’ailleurs Laurent-Franck Lienard qui avait assisté le jeune homme devant le tribunal correctionnel de Nanterre, alors qu’il comparaissait pour des violences. Il avait été relaxé. Ce qui lui est reproché aujourd’hui ? «Un acte vigoureux, mais pas violent. Alexandre Benalla a fait du tort aux forces de l’ordre, mais il a cru intervenir légitimement», estime le conseil. L’affaire ? «Un non-événement» prenant des proportions «délirantes».

«Mélange des genres»

Côté flic, on trouve «un peu déplacé et confus ce mélange des genres», glisse un fonctionnaire en uniforme. Ainsi, sur sa page Facebook, Lienard a reçu des dizaines de commentaires d’agents mécontents. «Cette affaire a jeté le discrédit sur l’ensemble de la profession. Ce choix surprenant aura peut-être des conséquences sur l’image qu’il a dans nos rangs», convient David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Plus cash, Daniel Merchat, ex-commissaire aux RG et avocat de limiers, dit : «Benalla est un personnage vilipendé par les forces de l’ordre. Si je prenais ce dossier, je perdrais 90% de mes clients !»

D’habitude, Laurent-Franck Lienard plaide pour de vrais flics, qu’ils soient mis en cause dans des affaires de violences ou eux-mêmes victimes. Certains des gendarmes ayant interpellé Adama Traoré avant qu’il ne décède ? C’est lui. Le brigadier-chef, auteur du tir de la grenade de désencerclement ayant touché gravement un photographe lors d’une manifestation contre la loi Travail ? Lui aussi. Certains des policiers blessés lors d’une attaque aux cocktails Molotov à Viry-Châtillon (Essonne) ? Lui encore. Cela fait vingt-six ans que son nom circule dans la maison poulaga, comme on se refilerait le mot de passe d’une caverne aux merveilles.

«J’ai sauvé des centaines de carrières», se targue l’homme au visage taillé à la serpe, annonçant fièrement «2 000 affaires» au compteur. Parangon de sa renommée dans le milieu, son mois de juillet a été particulièrement chargé : d’abord au côté de la famille d’Aurélie Fouquet après l’évasion de Redoine Faïd, puis du CRS ayant tué le jeune Aboubakar Fofana lors d’un contrôle à Nantes, et enfin d’Alexandre Benalla… La motivation de ce père de deux enfants de 17 et 5 ans carbure aux «rares» remerciements des fonctionnaires qu’il défend et «aux mères de famille qui pleurent dans [ses] bras».

Prudence et embarras

Lienard le reconnaît, il a toujours eu «une très forte vocation policière». La faute à une enfance dans un environnement familial chaotique à Dreux (Eure-et-Loir), où le recours fréquent au «17 police-secours» l’a beaucoup aidé. Au môme de six ans, fils d'une infirmière et d'un paysagiste, les flics apparaissent comme «des sauveurs». Il ne sait plus bien comment lui est venue l’idée, mais un jour ce sera son tour. Alors qu’il prépare le concours de commissaire, le jeune Laurent-Franck Lienard travaille dans un cabinet d’avocat pour financer ses études. Son boss lui conseille de se lancer. A mi-chemin des deux milieux, «j’ai commencé à défendre des policiers et j’y ai pris goût.»

Sa ligne jaune ? Il faut toujours que le policier ou le gendarme ait pensé agir dans le cadre de la loi. «Je ne défends pas de délinquants, ni de délinquants en uniforme.» Pas de vols de portable, pas de passages à tabac. Même s’il plaiderait bien pour le fonctionnaire stagiaire mis en examen pour violences, après qu’on l’a vu dans une vidéo rouer de coups un prévenu au dépôt du tribunal de Paris. «Il n’avait rien à faire là, seul. Il a été mis dans une situation ahurissante. Beaucoup de jeunes policiers sont livrés à eux-mêmes.» Sur ce type de violences, Me Lienard répond entre prudence et embarras : «Il y a peut-être une possible dérive actuelle au niveau de la police, principalement liée à un manque d’encadrement et de formation, à un trop-plein de stress…»

«Un adversaire redoutable»

S’il n’est jamais devenu commissaire, Laurent-Franck Lienard est réserviste dans la gendarmerie depuis plus de dix ans. Parfait connaisseur du droit des armes et de leur usage, ce partisan de la légitime défense et contempteur du flash-ball s’enorgueillit d’avoir traité «300 cas de fusillade» dans sa carrière. Il avait 12 ans quand il a poussé la porte de son premier club de tir sportif. Il n’a jamais arrêté la compétition.

Politiquement, ce sportif amateur de parachutisme et de plongée sous-marine affirme n’être ni de droite ni de gauche. A l’automne 2016, l’homme a poussé les affinités jusqu’à devenir le porte-parole du mouvement des policiers en colère (MPC). Un engagement qui lui a valu d’être renvoyé des écoles de police nationale, où il était formateur depuis une quinzaine d’années : «J’ai été viré du jour au lendemain sur un coup de fil du directeur de l’ENSP qui m’a dit que le cabinet du ministère de l’Intérieur avait exigé mon retrait», assure-t-il un peu amer.

Un peu isolé, Lienard. «Don Quichotte», dit-il en un sourire. Peu de reconnaissance de l’institution, une place à part au sein du barreau… Ses débuts n’ont pas été faciles. Laurent-Franck Lienard se sent plus léger aujourd’hui : «On s’est rendu compte que je n’étais pas un facho, mais un technicien.» Pour les uns, le conseil est excellent, en bon juriste et homme de conviction. «Un adversaire redoutable qui sait faire la guerre, mais toujours avec élégance, salue Yassine Bouzrou qui ferraille pourtant du côté des victimes de violences des forces de l’ordre. Il parvient parfaitement à expliquer en quoi la pratique quotidienne du métier de policier est éloignée des textes.»

Pour les autres, la rigueur et le dévouement de Lienard ne pallient pas un certain manque d’éclat et le recours «aux grosses ficelles». «Le bonhomme est loin d’être antipathique, mais ce n’est pas un très bon avocat», tranche un ténor l’ayant déjà affronté. Désormais à la retraite, un ancien «rival» nous répond par SMS : «J’ai décidé de ne plus dire de mal de personne, donc impossible de vous parler de cet avocat.» Conscient de sa place singulière, Lienard regrette-t-il de ne pas être passé du côté de ceux qu’il défend ? Pas le moins du monde : «Mon souci de liberté m’aurait empêché d’être commissaire de police.»

Chloé Pilorget-Rezzouk , Rémy Artiges