Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 avril 2020 2 07 /04 /avril /2020 21:44

Au nom du coronavirus, l’État met en place la société de contrôle

Couvre-feux, contrôles policiers multiples, toute-puissance de l’administration, emballement de l’industrie technosécuritaire : la pandémie de Covid-19 se traduit, en France, par un contrôle accru des populations, suspectées par principe de ne pas participer à la « guerre » contre le virus.

« Nous ne renoncerons à rien, surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer, surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été, surtout pas à la liberté », affirmait Emmanuel Macron le 11 mars dernier, il y a seulement trois semaines, dans le cadre la première journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme. Depuis, avec le confinement, tout semble avoir changé, le monde a basculé.

Des drones équipés de haut-parleur survolent les rues des métropoles françaises, intimant aux passants l’ordre de rentrer chez eux. Le gouvernement a décrété l’état d’urgence sanitaire et des couvre-feux ont été instaurés dans une centaine de villes, qui comptent au total plus de 2 millions d’habitants.

À Perpignan (Pyrénées-Orientales), la sirène retentit tous les soirs pendant cinq longues minutes à 19 h 50. À 20 h, plus rien ne bouge, seuls les véhicules de police patrouillent, les gyrophares allumés. La nuit, à Nantes (Loire-Atlantique) et à Rennes (Ille-et-Vilaine), un hélicoptère de la gendarmerie, muni de caméras infrarouges, guette « les récalcitrants » et les« indisciplinés ». Nous baignons dans un univers dystopique où les libertés individuelles sont progressivement rognées pour mener « la guerre » au Covid-19 et où la population est mise, massivement, sous surveillance.

« Une surenchère locale »

La situation touche toute la France « avec une surenchère locale », estime Henri Busquet, président de la Ligue des droits de l’Homme à Nice (Alpes-Maritimes), joint par Reporterre. À Sanary-sur-Mer (Var), ville de 16.000 habitants, le maire a pris un arrêté interdisant de se déplacer pour acheter des produits à l’unité, puis un autre interdisant les sorties à plus de 10 mètres [sic] de son domicile. « J’anticipe les mesures du gouvernement », se justifie simplement l’édile, interrogé par 20Minutes.

« On assiste à une compétition, observe Henri Busquet. À Nice, à Cannes, à Menton ou à Saint-Laurent-du-Var, les maires ont tous mis en place des couvre-feux avec à chaque fois des horaires différents, à tel point que le préfet des Alpes-Maritimes a dû prendre un arrêté sur l’ensemble du département pour harmoniser le tout. »

« Impuissants face au virus, les élus en ajoutent une couche et aggravent les mesures coercitives nationales pour tenter de rassurer leur population, dit à Reporterre Serge Slama, professeur de droit public. L’efficacité de ces mesures n’est pas pour autant prouvée, le risque, c’est l’interaction sociale et non le fait de sortir de chez soi ». En Isère, le préfet a interdit l’accès aux montagnes et aux forêts. « Pour les ruraux qui habitent à proximité, c’est incompréhensible, ils sont assignés à résidence et ne peuvent même pas se balader autour de chez eux », déplore le juriste. Dans les Alpes-Maritimes, un arrêté interdit de se baigner…

Les autorités ont distribué plus de PV que de masques aux citoyens

Au quotidien, 100.000 membres des forces de l’ordre quadrillent le territoire national. Mercredi 1er avril, après deux semaines de confinement, on dénombrait plus de 5,3 millions de contrôles et 359.000 amendes pour non-respect du confinement. Les autorités ont distribué aux citoyens plus de PV que de masques. Dans ses carnets de confiné, le journaliste David Dufresne parle d’un « déballage de contrôle qui coûte un bras — ou un respirateur de réanimation ».

Les syndicats de police, même s’ils déplorent le manque de matériel, affichent dans leur nouvelle mission un zèle menaçant. « La personne qui ne respecte pas le confinement à la suite du Covid-19, je m’occuperai personnellement de son cas », lance, bravache, un policier au volant de sa moto dans un clip vidéo promotionnel surréaliste du syndicat Unité SGP Police.

Sur France Info, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a récemment déclaré que les gendarmes avaient « le droit de fouiller les sacs de course s’ils ont le sentiment que la personne les bluffe ». Le spectre d’une société de contrôle n’a jamais été aussi palpable. L’arbitraire règne, alimentant un climat de défiance. Dans un communiqué publié le 26 mars dernier, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l’Homme et une vingtaine d’autres associations et syndicats ont dénoncé des « contrôles abusifs qui menacent la cohésion nationale ».

Sur Twitter, une femme s’en est émue : « J’ai demandé à mon chéri de me ramener des serviettes hygiéniques lundi soir, il était en règle, attestation, carte d’identité, etc… mais il a reçu 135 € d’amende “parce que si madame en avait vraiment besoin, elle avait qu’à sortir les chercher elle-même”. » Des parents se sont aussi fait verbaliser pour avoir accompagné à deux leur enfant chez le pédiatre.

« Avec le confinement, il y a une recrudescence des violences policières »

Les contrôles touchent, tout particulièrement, les quartiers populaires. De nombreuses plaintes remontent. Le 24 mars, aux Ulis (Essonne), Sofiane, agent logistique de 21 ans, se rendait à son travail — il est livreur pour Amazon — et avait oublié son attestation. Après avoir pris la fuite devant les policiers, il a été rattrapé et violemment tabassé. La veille, dans la même commune, Yassin sortait acheter du pain, les forces de l’ordre se sont jetées sur lui avant même qu’il puisse montrer son attestation. Il a désormais le visage tuméfié. À Barbès, à Paris, une jeune fille de 17 ans a été plaquée au sol devant sa mère par une dizaine de CRS. À Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 19 mars, une jeune mère de 19 ans a été frappée par un Taser pour ne pas avoir montré son attestation. Des violences qui ont entraîné cinq jours d’ITT. « Je voulais juste chercher à manger pour mon bébé », expliquait-elle.

Les exemples s’accumulent avec de nombreuses vidéos qui circulent sur la toile, ici ou . Les journalistes Taha Bouhafs et Sihame Assbague ont lancé des appels à témoin. Sur Mediapart, le 18 mars, David Dufresne recensait déjà sept signalements. Les compteurs ont, depuis, largement explosé. « Avec le confinement, il y a une recrudescence de la pression et des violences policières qui frappent en majorité des jeunes racisées », atteste Sihame Assbague.

Contacté par Reporterre, Pierre-Antoine Cazau, président de la section LDH de Bordeaux (Gironde), souligne les dangers de la situation. « À cause du confinement, nos organisations ne peuvent plus jouer leur rôle d’observateur ni vérifier si les contrôles sont proportionnés ou justifiés. »

En quelques semaines, la situation s’est accélérée, prenant tout le monde de court. « Le 5 mars, le président de la République allait au théâtre, enjoignant les Français à sortir, le 15 mars nous étions invités aux urnes, mais le 22 on risquait d’aller en prison, voilà l’agenda français sous Emmanuel Macron », s’emporte l’historienne Ludivine Bantigny dans un tweet.

En effet, en cas de récidive, après trois violations du confinement le même mois, les individus encourent désormais jusqu’à 6 mois de prison ferme et 3.750 euros d’amende. Depuis la semaine dernière, plusieurs cas défilent devant les tribunaux et des dizaines de personnes ont déjà été mises en garde à vue. Lundi 30 mars, un habitant de Cavaillon (Vaucluse) de 35 ans a été condamné à deux mois de prison ferme après avoir été verbalisé quatre fois en, à peine, six jours.

Sur France Bleu, l’avocat Arié Alimi fustige « une mesure disproportionnée, contre-productive et inconstitutionnelle. Remplir les prisons en période de contamination, c’est du grand n’importe quoi », dit-il.

L’Observatoire parisien des libertés publiques regrette aussi dans un communiqué que « les autorités publiques aient opté pour une politique de surarmement pénal en lieu et place d’une réelle volonté d’apaisement et de pédagogie ».

Nul ne conteste la nécessité de lutter contre la propagation du Covid-19 mais « l’exceptionnelle gravité de la situation sanitaire ne saurait justifier des restrictions arbitraires et disproportionnées aux libertés publiques », estime l’Observatoire.

« L’état d’urgence sanitaire est une loi scélérate »

La mise en place de l’état d’urgence sanitaire risque de laisser des traces. Votée au sein d’un Parlement confiné, devenu « un cluster » (une « grappe », en français) du Covid-19, cette loi a été adoptée sans grand débat, dans un climat de précipitation et de panique. Selon Me Raphaël Kempf, contacté par Reporterre, « l’état d’urgence sanitaire signe l’abandon de l’état de droit. C’est une loi scélérate, qui représente la part sombre d’une République aux abois ».

L’avocat pointe notamment les nouvelles mesures de mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être malades et les mesures d’isolement des malades. « Pourquoi faudrait-il que l’administration puisse forcer un malade à rester chez lui alors que l’avis du médecin et le bon sens suffisent ? Ce gouvernement ne pense pouvoir gérer la population que par la contrainte et la discipline — au besoin pénalement sanctionnée, analyse-t-il. Mais ces mesures sécuritaires ne doivent pas servir à compenser l’incompétence sanitaire des autorités. »

Toutes les dérives possibles sont déjà en germe. Face à un législateur affaibli, l’état d’urgence permet à l’exécutif de gouverner par ordonnance. Au-delà de la rhétorique guerrière de plus en plus banalisée, l’époque actuelle consacre également les militaires. Des conseils de défense sont organisés chaque semaine, les armées sont mobilisées et le général Richard Lizurey vient d’être nommé auprès d’Édouard Philippe pour évaluer la gestion interministérielle de la crise du Covid-19. L’ancien directeur de la gendarmerie nationale s’était auparavant fait remarquer en menant l’évacuation de la Zad de Notre-Dame-des-Landes et en réprimant le mouvement des Gilets jaunes.

Mais il n’y a pas que les militaires. En pleine épidémie, la bureaucratie tatillonne triomphe. Elle développe tout « un art de l’attestation de déplacement dérogatoire ». Invité dans une émission d’Arrêt sur image, Gilles Babinet, vice-président du Conseil national du numérique, expliquait redouter « la toute-puissance de l’administration. C’est-à-dire la toute-puissance du contrôle, du formulaire, du fichage, de la sanction, toutes sucreries courtelinesques dont l’administration est friande, qui la justifient, qui la légitiment ».

La lutte contre le Covid-19 nourrit ces penchants. En quelques semaines, le format de l’attestation dérogatoire a été modifié à plusieurs reprises, il s’est complexifié en obligeant les citoyens à inscrire leur date et lieu de naissance. De nombreuses personnes ont été verbalisées pour avoir « mal rempli » leur attestation, avoir omis des informations ou l’avoir écrite simplement au crayon de papier. À Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), dans une vidéo, un informaticien de Santé publique France témoigne d’un contrôle policier accompagné d’insultes racistes. Il a dû payer 135 euros d’amende pour avoir oublié d’inscrire son année de naissance. Sur les réseaux, les exemples sont légion. Un site les recense.

« La gendarmerie rêve de pouvoir développer le drone du quotidien »

Aux contrôles physiques se greffe maintenant toute une panoplie de gadgets high-tech et de surveillance. Auparavant, les drones étaient déployés occasionnellement pour le maintien de l’ordre. Leur emploi désormais se généralise. On en compte une vingtaine en fonctionnement, rien qu’à Paris. Ils sont devenus des auxiliaires indispensables. La gendarmerie rêve de pouvoir développer « le drone du quotidien » et espère dans le futur en avoir un par compagnie.

Dans le secteur, les affaires fonctionnent. En l’espace d’une semaine, la société Flying Eye, installée à Sophia-Antipolis, près de Nice, a vendu une trentaine de drones de la marque chinoise DJI, équipés d’un haut-parleur intégré, à des organismes chargés d’appliquer les consignes de confinement. Sur BFM TV, son directeur dit recevoir en ce moment « toutes les deux heures un appel pour [lui] commander du matériel ».

Pour Félix Tréguer, sociologue et membre de l’association la Quadrature du net, « l’industrie technosécuritaire a senti le filon. Avec le coronavirus, elle tente de se donner un verni et de se recycler, dit-il à Reporterre. Aujourd’hui le solutionnisme technologique est brandi comme une manière de gérer la crise. Il permet aussi de masquer les failles des politiques publiques en matière de santé et de prévention ».

Au niveau des contrôles, tout s’accélère. Ces outils technologiques démultiplient les possibilités de surveillance. « Il y a un mois et demi, quand on voyait les drones chinois dans les airs diffuser des messages à la population, ça semblait de la science-fiction. Mais aujourd’hui, c’est la réalité, ça se passe chez nous, souligne le sociologue. La pandémie donne une occasion rêvée au pouvoir de légitimer tout un tas de solutions qui paraissaient controversées et très sensibles. Elles peuvent désormais se déployer au grand jour ».

Des start-up profitent de la situation pour faire des offres promotionnelles. À Metz (Moselle), l’entreprise Two-i, spécialisée dans la vision assistée par ordinateur, a transmis gratuitement aux forces de l’ordre sa technologie pour détecter les attroupements. « Nous mettons nos licences à disposition des centres de sûreté urbaine, en accès libre , explique l’un de ses fondateurs dans Le Journal des entreprises. Ce n’est pas de la surveillance de masse mais un outil qui pourrait permettre de sortir plus rapidement du confinement, en s’assurant qu’il est respecté. »

Pour Félix Tréguer, « cette start-up peinait auparavant à obtenir des marchés publics, elle développait aussi des projets de reconnaissance faciale, la crise leur donne l’occasion de mener une belle campagne de marketing », dit-il.

« Quand il y a une technologie disponible, à la fin on finit par l’utiliser »

Justement, à l’aune de l’épidémie, les débats autour de la reconnaissance faciale réapparaissent. Le secrétaire d’État au numérique, Cédric O, a appelé mardi 25 février à l’expérimenter pour éviter qu’elle ne finisse par s’imposer brutalement et sans débat : « Ce que l’histoire montre, c’est que quand il y a une technologie disponible, à la fin on finit par l’utiliser. »

Autre inquiétude, les données stockées via les téléphones et les smartphones : En pleine crise sanitaire, le Canard enchaîné a révélé mercredi 25 mars que le ministère de l’Intérieur avait obtenu les données privées des opérateurs télécoms pour évaluer précisément combien de Parisiens avaient quitté la capitale. Orange a exploité les données non seulement de ses propres abonnés, mais aussi de toutes les personnes qui se sont connectées sur le réseau mobile. Le groupe de télécommunications a néanmoins assuré transmettre à ses partenaires des agrégats statistiques et non des données individuelles et « identifiantes ».

Le PDG d’Orange, Stéphane Richard, a aussi annoncé dans Le Figaro qu’il travaillait déjà avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) « pour voir comment les données peuvent être utiles pour gérer la propagation de l’épidémie (…) Elles pourraient aussi être utilisées pour mesurer l’efficacité des mesures de confinement comme en Italie ».

Derrière se profile l’enjeu du « back tracking », une technique déjà utilisée dans de nombreux pays, qui consiste à conserver la trace des déplacements des individus via la géolocalisation de leur smartphone. En France et en Europe, plusieurs initiatives vont dans ce sens.

La Commission européenne a réclamé des données d’opérateurs téléphoniques pour évaluer l’effet des mesures de confinement. La demande a été formulée par Thierry Breton, l’actuel commissaire européen au Marché intérieur — par ailleurs ancien dirigeant de France Télécom. À l’Élysée, un Comité analyse recherche et expertise (Care), composé de douze chercheurs et médecins, a été installé. « Il accompagnera la réflexion des autorités (…) sur l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées », explique la présidence de la République.

Interrogé sur le back tracking, mercredi 1er avril à l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Édouard Philippe, a déclaré que l’« on pourrait peut-être, sur le fondement d’un engagement volontaire, utiliser ces méthodes pour mieux tracer la circulation du virus et les contacts (…) de chacun ».

« Culpabiliser les individus pour éviter toute rébellion »

Plusieurs applications smartphones fonctionnent déjà. Dans une forme de flou juridique. CoronApp a été créée en 78 h. Son slogan : « Mieux qu’un vaccin une application. » Elle se présente comme « une démarche citoyenne ». « Le principe est simple, l’application suit les mouvements des utilisateurs pendant 14 jours. Si un porteur du virus se déclare comme infecté par le Covid-19, l’algorithme va retracer son parcours pour vérifier les personnes qu’il/elle a croisées et les informera via une notification [sur smartphone] de l’heure et de la date à laquelle ils ont été en contact avec cette personne. »

Au-delà des questions techniques que soulèvent ces applications, la Ligue des droits de l’Homme y voit une approche dangereuse : « une forme de servitude volontaire » qui pourrait se transformer plus tard en contrainte avec l’ injonction d’être « un citoyen responsable ». De manière générale, les défenseurs des libertés publiques dénoncent un discours qui transfère la responsabilité de la crise sur les individus et leur comportement.

« Une des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d’urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d’eux qu’ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d’éviter toute forme de rébellion envers l’ordre constitué », analyse, dans une tribune reprise par Bastamag, un membre d’Attac Italie, Marco Bersani. « Cette chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l’angoisse de devoir combattre un ennemi invisible. »

Après l’épidémie, cette société de contrôle a de fortes chances de se pérenniser. Une fois mises en œuvre, les mesures perdureront dans le temps. Le scénario s’est déjà répété avec l’état d’urgence de 2015 et son inscription dans le droit commun. Pour le philosophe Giorgio Agamben, « tout comme les guerres ont laissé en héritage à la paix une série de technologies néfastes, il est bien probable que l’on cherchera à continuer après la fin de l’urgence sanitaire les expériences que les gouvernements n’avaient pas encore réussi à réaliser ».
 
Partager cet article
Repost0
28 mars 2020 6 28 /03 /mars /2020 11:58
 
Confinement : un jeune homme porte plainte pour
violences policières en Essonne

Le jeune homme, encerclé par plusieurs agents de la brigade anticriminalité, a été mis à terre et frappé à de multiples reprises.

Par L'Obs avec AFP

Publié le 28 mars 2020 à 12h18

Un jeune homme qui accuse des policiers de « violences aggravées » lors d’un contrôle lié au confinement aux Ulis (Essonne) a porté plainte vendredi auprès du parquet d’Evry, a-t-on appris auprès de l’avocat du jeune homme.

La plainte contre X a notamment été déposée pour « violences volontaires aggravées par personne dépositaire de l’autorité publique, en réunion, avec usage ou menace d’une arme » et « non-assistance à personne en danger ».

Encerclé par des agents de la BAC

Mardi en fin d’après-midi, Sofiane, agent logistique chez Amazon et habitant des Ulis, se rendait du domicile de son père à celui de sa mère avant de se rendre à son travail de nuit, selon le récit de cette dernière.« Le tort qu’il a eu, c’est de partir en courant lorsqu’il a vu les forces de l’ordre. Il a expliqué qu’il avait fait ça parce qu’il avait peur de se faire tabasser et qu’en plus, il n’avait pas son attestation sur lui », raconte sa mère Aïcha.

La suite des événements apparaît dans des vidéos massivement partagées sur les réseaux sociaux. Le jeune homme, encerclé par plusieurs agents de la brigade anticriminalité, est mis à terre et frappé à de multiples reprises puis amené sous le porche d’un bâtiment d’où s’échappent ses cris stridents.

« Pourquoi on l’isole pour continuer le massacre ? »

Samim Bolaky, l’avocat du plaignant, a souligné le « stress post-traumatique » subi par son client, relevant le « caractère extrêmement grave » de ces violences, « surtout dans cette période de crise sanitaire ».

« La violence policière dont on parle est institutionnelle et c’est quelque chose d’extrêmement effrayant. (...) On est dans des quartiers où des personnes parfaitement honnêtes vivent dans la peur de croiser la police », a-t-il estimé.

Samim Bolaky a également demandé l’ouverture d’une enquête auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN, la police des polices).

« Pourquoi on l’isole pour continuer le massacre? », s’indigne sa mère, encore sous le choc. « Je ne reconnais pas mon fils, il est abattu, absent », confie-t-elle dans un sanglot, le décrivant comme étant d’ordinaire « très sensible ».

Le jeune homme, blessé au visage et présentant de nombreux hématomes sur le corps, s’est vu prescrire quatre jours d’ITT, selon un certificat médical que l’AFP a pu consulter. La police du département n’a pas souhaité faire de commentaire.

Selon Amal Bentounsi, du collectif Urgence notre police assassine, « depuis le début du confinement, on assiste à une recrudescence des violences policières et à un acharnement et un défoulement sur les populations qui vivent en banlieue ». Pour elle, « rien ne justifie cette violence ».

Partager cet article
Repost0
27 mars 2020 5 27 /03 /mars /2020 07:28
À nos corps défendant, les raisons sanitaires nous ont fait reporter notre Marche pour Angelo, et toutes les victimes du racisme et de la violence de l'État.
Trois ans après la mise à mort d'Angelo le 30 mars 2017 à Seur, il sera douloureux de ne pas nous rassembler ce 28 mars à Blois pour honorer sa mémoire, et crier notre exigence de Justice et Vérité, comme nous le faisons et le referons chaque année. De même, pour toutes nos familles de victimes mobilisées contre l'impunité des violences policières, il a été douloureux de ne pas marcher le 14 mars dernier à Paris. Nous n'en avons pas décidé ainsi sous la contrainte des autorités de ce pays, mais par nécessité, avec ce souci de chacun·e et du bien commun, cette conscience solidaire qui puissamment nous anime et nous rend libres.
 
La Marche "Un procès doit avoir lieu" pour Angelo et toutes les victimes est reportée, mais le combat continue, qui nous relie encore davantage alors que nous devons momentanément, pour préserver les vies, tenir nos corps distanciés.
 
La Marche est reportée mais nos raisons de l'appeler sont encore plus grandes. Plus que jamais nous voulons "protéger les vies, les corps, les droits de toutes et tous, face aux forces chargées de nous imposer un ordre toujours plus violemment inégalitaire, antisocial et autoritaire" ; et donc dénoncer ce régime dont on ne sait jusqu'où il ira dans le cynisme et l'opportunisme afin de s'installer irréversiblement. 
 
Nous refusons que la crise sanitaire serve de prétexte pour accentuer à outrance ses causes-mêmes, la guerre qui nous est faite, la prédation économique, le pillage du bien public, le massacre de nos droits sociaux et démocratiques, l'inégalité dans la prise en compte des vies. Celles qui étaient déjà déconsidérées, sacrifiées hier, le sont toujours plus aujourd’hui.
 
Nous refusons que la lutte contre le Covid-19 serve de prétexte pour totaliser l'arbitraire policier. Chaque jour nous devons nous tenir informés de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires liberticides et coercitives, écrasant un peu plus notre désir, notre volonté de renforcer nos solidarités, de nous organiser par nous-mêmes pour fonder une autre société.
 
Hier nous dénoncions les abus de la force publique, ses contrôles racistes au faciès, ses vexations et brutalités mortifères. Aujourd'hui nous sommes toutes et tous officiellement contrôlables sans autre motif que notre présence dans l'espace public. Les agents décident à leur guise si nous y circulons dans les règles ou pas, et peuvent en fonction réprimer et violenter leurs cibles privilégiées à volonté.
 
Hier nous dénoncions les non-lieux dans les homicides causés par la force publique armée, ces décisions de justice prises à huis-clos qui sanctifient la parole de l'auteur assermenté, pour décriminaliser sans procès son acte meurtrier. Aujourd'hui aucun procès public ne peut plus avoir lieu.
 
Hier nous dénoncions l’engrenage carcéral dont Angelo est mort pour avoir cherché à y échapper. Aujourd’hui toutes les personnes qui étaient déjà privées de liberté dans des conditions indignes sont potentiellement condamnées à mourir de la pandémie, ou de la répression lorsque comme en Italie, elles s’insurgent. 
 
Dans ce contexte renforçant un état d'exception déjà permanent, la légitimité de notre lutte contre les pouvoirs illimités dévolus aux forces de l'ordre, et notre détermination à la porter, continuent de grandir. On ne sait jusqu'à quand va durer la nécessité du confinement, mais le temps passant sous l’empire étouffant d’une loi d’urgence scélérate fait grandir en nous la colère et l'impatience de se retrouver, pour tout changer.
 
La Marche est reportée, mais nos revendications contre l'impunité des violences policières restent de la plus vitale actualité.
  • Plus que jamais, songeant aux lendemains qui se préparent, nous exigeons l'interdiction des techniques d'immobilisation meurtrières et l'utilisation d'armement de guerre dans nos quartiers et nos mobilisations.
  • Plus que jamais nous revendiquons l'abrogation de l'article L435-1 du code de la sécurité intérieure, ce permis de tuer autorisant l'ouverture du feu par les forces de l'ordre au-delà du cadre général de la légitime défense ; et nous dénonçons le recours aux non-lieux dans les homicides par balles commis au nom de l'État. Quand la force publique tue, un procès public doit avoir lieu.
  • Plus que jamais notre appel reste ouvert à la signature des collectifs de familles et des structures souhaitant ré-affirmer ainsi leur soutien toujours plus précieux, la puissance de nos solidarités.
Quand malgré la menace virale beaucoup doivent continuer à travailler, parfois contre leur gré dans des secteurs d'activité non-essentiels, parfois au contraire pour soigner et répondre à tous les besoins vitaux, nous n'oublions pas qu'il y a peu, tant de ces personnes indispensables ont été confrontées aux gaz, aux coups, à la violence policière et à la répression judiciaire, parce qu'elles combattaient la dégradation de leurs conditions de travail et du service vital rendu au public.
 
Plus que jamais nous restons mobilisé·es "comme une seule famille, pour toutes les victimes tuées, blessées, humiliées, discriminées, précarisées, exilées, réprimées, enfermées par la violence d'État, et pour ne pas laisser tuer l'espoir et l'avenir de nos enfants."
 
Nous trouverons des voies pour mener le combat, continuer à faire entendre nos voix, dans les semaines de confinement restant à venir. Puis quand il sera temps, nos corps en lutte reprendront massivement l'espace public. D'ici là prenons soin de nous tout·es, en force et en responsabilité, individuelle et collective.
 
Aurélie Garand pour la famille,
Et le collectif Justice pour Angelo
26 mars 2020
Partager cet article
Repost0
25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 07:43
 
Coronavirus : pour vaincre l’épidémie, faut-il traquer
les Français ?

L’Elysée a lancé ce mardi une réflexion sur le suivi par GPS des personnes infectées au Covid-19, expérimenté non sans succès en Corée du Sud. Une ligne rouge pour les défenseurs des libertés.

 
 
 
Par Nathalie Schuck
Le 24 mars 2020 à 21h26, modifié le 25 mars 2020 à 06h30

« Alerte! Vous avez croisé une personne contaminée au Covid-19, veuillez vous présenter au drive de dépistage pour test immédiat » : recevra-t-on demain, une fois sortis de confinement, des SMS sur nos téléphones portables pour nous avertir que l'on a peut-être contracté le coronavirus et nous isoler, le cas échéant?

Ce scénario de science-fiction, les Sud-Coréens, Taïwanais, Chinois ou Singapouriens l'ont expérimenté grandeur nature pour enrayer la pandémie. Non sans succès, mais à quel prix? La France, pays des Lumières et des droits de l'Homme, peut-elle accepter de rogner sur ses libertés individuelles au nom de l'intérêt général dicté par la « guerre », selon le terme présidentiel, contre la maladie?
Ce débat, abyssal pour nos démocraties occidentales, Emmanuel Macron l'a ouvert ce mardi en se dotant d'un nouveau groupe de réflexion composé de médecins et de chercheurs, chargés de plancher sur les essais thérapeutiques en cours et ce que l'on appelle le « backtracking ».
 

«Il ne s'agit pas de savoir si vous avez une aventure extraconjugale !»

Le principe : lorsqu'une personne est testée positive au Covid-19, les données de géolocalisation GPS contenues dans son smartphone sont utilisées pour retracer ses déplacements et déterminer qui elle a croisé, afin de prévenir ces personnes « contacts » et leur demander de se faire dépister au plus vite. Ce qui suppose, au passage, de pouvoir tester en masse ! L'objectif : enrayer toute reprise de l'épidémie en tuant dans l'œuf les débuts de « clusters ».

Cette utilisation des nouvelles technologies à des fins sanitaires compte de fervents partisans. « Taïwan et la Corée du Sud ne sont pas des dictatures! Il n'y a pas de fichier car pas de conservation des données, qui sont effacées une fois utilisées pour repérer les personnes contacts. Il n'y a pas de problème de secret médical, c'est l'autorité de santé qui gère. Et cela peut se faire sur une base volontaire. Il s'agit de repérer les porteurs sains, très contagieux, pas de savoir si vous avez une aventure extraconjugale! », plaide un expert en gestion de crise, qui récuse l'idée que cela reviendrait à vendre son âme au diable. « C'est déjà le cas! Google ou Facebook utilisent nos données à des fins commerciales ou pour évaluer les embouteillages, par exemple ».

Qu'en pense Emmanuel Macron? Selon de proches conseillers, le chef de l'Etat serait très réservé, soucieux de ne pas fragiliser les piliers de l'Etat de droit. A cet égard, il s'inquiéterait de voir monter une soif d'autoritarisme dans le pays, au risque de jeter aux orties les libertés élémentaires. Raison pour laquelle, explique un fidèle, il a tout soupesé avant de décréter le confinement, mesure déjà fortement attentatoire aux libertés, et a choisi de demander aux Français une attestation sur l'honneur - fondée sur la confiance - pour leurs rares sorties et pas un « flicage » numérique.

«C'est Big Brother !», s'écrient les détracteurs du traçage

« C'est ce qui différencie les démocraties des régimes autoritaires. C'est pour cela qu'il a décidé de ne pas utiliser l'article 16 de la Constitution ( NDLR : les pleins pouvoirs ) », expose le même. En toile de fond, c'est le spectre d'une arrivée au pouvoir des extrêmes qui le préoccupe, lui qui reste convaincu qu'il affrontera Marine Le Pen, et nul autre, en 2022.

« C'est Big Brother ! », s'écrient les détracteurs du traçage par GPS, en référence au roman 1984 de George Orwell sur un futur sous surveillance totalitaire. Quid des données si sensibles sur la santé ? « Il serait injustifié de céder à ce stade aux pressions de ceux qui souhaitent davantage empiéter sur nos libertés individuelles par l'utilisation des données personnelles de nos concitoyens », met en garde le député européen LREM Stéphane Séjourné, qui fut le conseiller politique de Macron à l'Elysée et planche sur un rapport sur l'intelligence artificielle.

Membre de la commission des Lois de l'Assemblée, le député LREM Sacha Houlié s'en émeut aussi : « Il y a une injonction paradoxale. En temps calme, on parle de dictature et de surveillance généralisée. Et là, il y a un appel à la restriction des libertés ! On voudrait faire sauter toutes les garanties de l'Etat de droit… » Sous couvert d'anonymat, un membre du Conseil d'Etat, garant des libertés, sonne le tocsin, inquiet : « Prenons garde à la pétainisation des esprits ! »
Partager cet article
Repost0
25 mars 2020 3 25 /03 /mars /2020 07:21
 
 
 
Coronavirus en Seine-Saint-Denis. Elle est tasée et
frappée pour ne pas avoir montré son attestation

Lors d'un contrôle de son attestation de sortie à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) Ramatoulaye B. est brutalisée par la police. Des violences qui entraînent cinq jours d'ITT.

Publié le 24 Mar 20 à 19:26
« J’étais juste sortie faire des courses pour nourrir mon bébé ». Cette phrase Ramatoulaye B., 19 ans, la répète de façon lancinante. Jeudi 19 mars 2020, il est dans les environs de 16 h lorsqu’elle sort faire des courses près de son domicile à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis).
Lors d’un contrôle de son attestation de sortie à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) Ramatoulaye B. est brutalisée par la police. Des violences qui entraînent cinq jours d’ITT. (©DR)
Cinq jours d’ITT

Sur le chemin du retour, alors qu’elle ne se trouve plus qu’à quelques mètres de chez elle, une patrouille de police décide de contrôler son attestation de dérogation de sortie, dans le cadre du confinement lié à la propagation du coronavirus Covid-19.

A la suite de ce contrôle musclé, la jeune femme se voit prescrire cinq jours d’incapacité temporaire totale (ITT). Quatre jours après les faits, la colère est toujours là.

"Je veux témoigner parce que ce qui m’est arrivé aurait pu arriver à n’importe qui et ce n’est pas juste ! »

Le cas de Ramatoulaye B. ne semble pas isolé. Depuis la mise en place des mesures de confinement, plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux comme ici, ou encore , ont dénoncé des contrôles policiers musclés, notamment dans les quartiers populaires. Contactée, la préfecture de police n’a pas répondu à nos sollicitations. 

Sortie faire des courses

Ce jour jeudi là, Ramatoulaye B. était sortie faire des courses pour son fils, un nourrisson âgé de seulement quelques mois.« Il n’y avait plus rien à manger pour lui, il fallait absolument que je sorte ! », se justifie-t-elle. Elle se rend donc au magasin le plus proche, accompagnée de son petit frère de sept ans. De retour rue Lopez Jules et Martin, le caddie chargé de courses, ils croisent une patrouille de police qui leur demande leur attestation de sortie.

Sauf que cette attestation, Ramatoulaye B. ne l’a pas imprimée. « J’avais mon attestation écrite. Je devais passer au taxiphone pour l’imprimer mais il était fermé. Un autre policier, que j’avais croisé plus tôt, m’avait affirmé que l’attestation manuscrite était suffisante », raconte-t-elle, toujours dépassée.

« Ils m’insultent devant mon petit frère »

Très vite, le ton monte entre les policiers et la jeune femme, qui selon elle, n’a pas le temps de s’expliquer. « Tout de suite, ils se mettent à m’insulter devant mon petit frère », relate-t-elle. Selon la jeune femme, des insultes fusent. « Sale pute » et « pétasse », sont lancés de la part des policiers.

Face à la situation, elle admet alors perdre son sang-froid. « Je ne comprenais pas comment on en était arrivé là. J’étais juste sortie faire des courses », rappelle celle qui, aujourd’hui encore, n’a toujours pas compris ce qu’elle avait fait de mal.

Un coup de taser à la poitrine
Ramatoulaye B. est alors seule, face à huit policiers, dont deux qui s’occupent de son petit frère, pris à part. Alors qu’elle ne semble démontrer aucune violence à leur encontre, elle reçoit un coup de taser à la poitrine.
Sur une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, le cri de la jeune femme déchire le silence au moment de l’impact. Elle est ensuite plaquée au sol par un autre policier avant d’être embarquée dans le fourgon de police. 

Sauf que pour Ramatoulaye B., les coups ne s’arrêtent pas là. « Dans le camion, ils ont continué à me donner, cette fois-ci, des coups de pieds en me disant que j’étais « une petite merde » ». Arrivée au commissariat, elle passera une heure en cellule avant d’être relâchée.

"Je ne sais même pas pour quel motif j’ai été arrêtée !"

Trauma à l’épaule, au poignet et des hématomes 

A sa sortie du commissariat, la jeune femme décide de se rendre chez le médecin pour faire constater ses blessures. Sur le certificat qu‘Actu Seine-Saint-Denis a pu consulter, il est stipulé que « l’examen médical met en évidence un trauma épaule gauche et poignet droit, des hématomes et des douleurs de la cuisse gauche » dans le cadre de « coups et blessures volontaires« . Un état qui, selon le médecin, nécessite cinq jours d’ITT. 

Quatre jours après, Ramatoulaye confie avoir « des difficultés à dormir la nuit » suite à ces événements. Son petit frère, qui a assisté à la scène, est selon, elle, « traumatisé ». Ce lundi, elle souhaitait déposer plainte au commissariat de police. « Mais on m’a dit qu’avec le coronavirus, tout se faisait ligne ».

Partager cet article
Repost0
13 mars 2020 5 13 /03 /mars /2020 07:52
 
Mère de famille éborgnée à Villemomble : les
policiers à nouveau acquittés

Les deux policiers jugés en appel ont été une nouvelle fois acquittés par la cour d’assises de Paris. Un de leurs tirs avait éborgné en 2013 une mère de famille, décédée depuis. La légitime défense a été retenue.

 
Par Nathalie Revenu
Le 12 mars 2020 à 21h47

Acquittés pour la seconde fois. Le verdict est tombé ce jeudi en début de soirée, après un délibéré fleuve de 9 heures. La cour d'assises de Paris réunie en appel estimé qu'Antoine C. 41 ans, et Mickaël S. 39 ans n'avaient pas agi de manière disproportionnée quand ils ont fait usage de leurs armes ce soir de juin 2013.

Ces deux policiers de la Bac 93 (brigade anti criminalité) étaient jugés pour des violences volontaires. Au cours d'une descente dans la cité de la Sablière à Villemomble en juin 2013, Antoine C., 41 ans, avait éborgné Fatouma Kébé, 54 ans, en lançant une grenade de désencerclement. Tandis que son fils, Mohamed, avait été blessé à l'oreille par Mickaël S.

Fatouma Kébé, qui est décédée l’an dernier d’une leucémie, avait perdu l’usage de son œil gauche lors d’une intervention de police en 2013 à Villemomble. LP/C.S Fatouma Kébé, qui est décédée l’an dernier d’une leucémie, avait perdu l’usage de son œil gauche lors d’une intervention de police en 2013 à Villemomble. LP/C.S  

« C'est un soulagement », confie Me Frédéric Gabet, avocat de Mickaël S. Son client était accusé d'avoir tiré au LBD de façon inappropriée et disproportionnée. Ce jeudi soir, les jurés en ont décidé autrement. « La légitime défense a été retenue », indique Me Gabet. Elle a nuancé ses motivations concernant Antoine C.. Il avait lancé une grenade et éborgné Fatouma Kébé.

"Ce n'est pas la notion de légitime défense qui lui a été appliquée mais celle de l'état de nécessité. Personne ne l'avait attaqué directement, mais il se trouvait bien dans une situation de danger. Il y avait aussi péril pour ses collègues qu'il devait protéger », a décrypté Me Gabet. Makan (à gauche) et Mohamed Kébé, fils de Fatouma, ont raconté lors du procès le bouleversement causé par la blessure de leur mère puis son décès. LP/N.R Makan (à gauche) et Mohamed Kébé, fils de Fatouma, ont raconté lors du procès le bouleversement causé par la blessure de leur mère puis son décès. LP/N.R  

Le verdict a été accueilli dans les larmes par la famille Kébé. « C'est un mauvais message envoyé à la population, a estimé Makan Kébé, l'un des fils de la victime, Fatouma. J'ai mal pour ma mère ».

Tout au long du procès, il avait été confiant. La balance semblait pencher en défaveur des policiers. Sylvie Kachaner, avocate générale, avait requis 18 et 6 mois de prison avec sursis sans réclamer d'interdiction d'exercer. Elle avait estimé que ces policiers « aux états de service excellents » avaient menti. « La riposte n'était pas proportionnée » et « la légitime défense n'était pas constituée », comme l'avait établi l'enquête de l'IGPN, la police des polices.

L'usage avait été jugé inapproprié et disproportionné par la police des polices. La grenade avait été lancée en l'air au lieu d'être roulée au sol. Le LBD n'avait pas été employé à une distance réglementaire et atteint un homme torse nu et désarmé.

Les policiers ont décrit des scènes de guérilla urbaine

Les nombreuses vidéos tournées par les riverains avaient contredit la version des policiers. C'est seulement à la suite du visionnage de ces documents, qu'Antoine C. reconnaîtra avoir lancé « en cloche » la grenade et non « en cuillère » en la faisant rouler à terre. Son collègue avait revu à la baisse la distance entre lui et Mohamed Kébé. Passés et repassés sur les écrans de la cour d'assises, ils avaient apporté un éclairage nouveau sur les rôles et attitudes de chacun.

Palais de justice de Paris (1er), mardi 10 mars. Maître Daniel Merchat, défenseur d’Antoine C., le policier qui a lancé la grenade. LP/NR Palais de justice de Paris (1er), mardi 10 mars. Maître Daniel Merchat, défenseur d’Antoine C., le policier qui a lancé la grenade. LP/NR  

Les accusés et l'un de leurs avocats Me Merchat ont rétorqué qu'elles n'offraient qu'un point de vue tronqué de la situation. Les policiers ont décrit de véritables scènes de guérilla urbaine ce soir-là : des groupes de jeunes » allant au contact » avec les forces de l'ordre et des riverains qui leur jetaient des projectiles. L'enquête administrative accablante pour les policiers l'avait été tout autant pour leur hiérarchie.

Partager cet article
Repost0
12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 19:21

https://www.bastamag.net/Violences-policieres-illegitimes-Yassine-Bouzrou-verite-et-justice-Adama-Traore-reconstitution-gilets-jaunes

« Dans les affaires de violences policières illégitimes,
la justice fonctionne très mal »

par

L’avocat Yassine Bouzrou défend des familles de personnes tuées par les forces de l’ordre, ainsi que des gilets jaunes blessés. Au fil des affaires, il constate de graves dysfonctionnements : criminalisation ou disqualification post-mortem des victimes, instructions peu rigoureuses, expertises médicales contestables... Entretien.

Basta ! : Vous suivez depuis plusieurs années des affaires de décès liés aux forces de l’ordre, comme les affaires Adama Traoré ou Zineb Redouane. Quels points communs relevez-vous entre ces dossiers ?

Yassine Bouzrou [1] : On en constate un certain nombre sur ces affaires de violences policières illégitimes. Il y a d’abord un manque d’effectivité de l’enquête. Les magistrats instructeurs ne vont pas au bout des investigations. Je pense notamment aux reconstitutions, très importantes en la matière : les magistrats les refusent quasi systématiquement. Ces refus sont malheureusement confirmés par les cours d’appel. Dans l’affaire Adama Traoré [jeune homme de 24 ans décédé entres les mains des gendarmes lors d’une interpellation violente en juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, ndlr], les juges l’avaient autorisée mais la reconstitution n’a jamais été réalisée [2]. Les juges refusent aussi d’entendre certains témoins. Ce n’est pas normal, on doit pouvoir connaître la vérité dans tous les dossiers. La France a été condamnée à plusieurs reprises pour ce manque d’effectivité de l’enquête [3].

La deuxième difficulté est la communication erronée, parfois mensongère développée par les procureurs ou les préfets. Lorsqu’il y a un décès avec une suspicion de violences policières illégitimes, il n’est pas rare qu’une première version soit donnée aux médias par les policiers et la préfecture. Malheureusement, certains journalistes ont tendance à ne reprendre exclusivement que cette version. Récemment, dans l’affaire Ibrahima Bah [jeune homme de 22 ans mort en moto à Villiers-le-Bel en octobre 2019 lors d’une intervention de police, ndlr] [4], le préfet du Val d’Oise a rédigé un communiqué [5] partiel et partial, dans la mesure où il ne faisait pas état des différents témoignages mettant en avant le rôle actif du fourgon de police dans l’accident tragique de M. Bah.

Pour Mme Zineb Redouane [octogénaire décédée dans son appartement marseillais en décembre 2018, à la suite d’un tir de grenade lacrymogène par un CRS, ndlr], le procureur de Marseille a osé affirmer face aux médias qu’il n’y avait pas de lien entre la grenade et le décès. Pour dire une chose pareille, il faut non seulement ne pas savoir lire correctement un rapport d’autopsie et ensuite faire preuve d’une mauvaise foi extraordinaire. Je trouve étonnant de la part d’une aussi haute autorité judiciaire de dire des choses si éloignées de la réalité. Ce sont des méthodes que l’on voit souvent.

Comment, en tant qu’avocat, renversez-vous cette communication des autorités qui tend à imputer la responsabilité de sa propre mort au défunt ou à le criminaliser post-mortem ?

Ces premiers éléments de communication sont extrêmement importants. Avant même de savoir ce qui s’est précisément passé dans une affaire, il y a ce besoin de dire que la personne décédée était un délinquant, quelqu’un de mauvais, un voyou connu des services du parquet, qu’il a mis en danger les policiers, même s’il n’y pas de preuves. L’objectif est d’atténuer la responsabilité des forces de l’ordre et de trouver des circonstances explicatives aux violences illégitimes commises.

En l’absence d’éléments objectifs et certains sur les raisons de décès, beaucoup de gens, à ce stade, préfèrent prendre position pour les forces de l’ordre. Même si juridiquement, ça ne tient pas la route, le plus important est de dégainer et de mettre le doute. Calomniez ! Calomniez ! Il en restera toujours des traces, même des années après. Ensuite, c’est très compliqué de rétablir la vérité.

Ce qui est resté dans l’opinion publique pour Curtis Robertin, décédé après avoir perdu le contrôle de son quad à Antony, c’est un jeune homme « totalement inconscient », « roulant sans casque sur un véhicule non homologué » qui se serait donné la mort tout seul, en souhaitant fuir les forces de l’ordre.

La question a été de savoir si le véhicule de police qui se trouvait à proximité a pu avoir une influence dans l’accident. La procureure de Nanterre s’est précipitée à l’époque pour dire qu’il n’y avait pas de comportement fautif des policiers. Il se trouve que, d’après mes informations et certains témoins, il y a eu course-poursuite dans le cas de Curtis Robertin [6]. La procureure a pourtant d’abord refusé de saisir l’IGPN (Inspection générale de la police nationale). C’est le commissariat d’Antony où travaillent les policiers visés par la plainte qui a débuté l’enquête, ce qui montre l’envie de vérité... Une des informations judiciaires dans l’affaire vise le procès-verbal « faux en écriture publique » rédigé par les policiers qui n’ont pas voulu admettre l’évidence : ils ont pris en chasse ce véhicule [7]. On ne peut pas accepter que les forces de l’ordre rédigent des procès verbaux avec des éléments éloignés de la réalité. C’est ce qu’on appelle un « faux intellectuel » et c’est un crime.

Ce procédé serait-il lié au profil des victime des violences policières mortelles ? Un jeune homme, noir ou arabe, issue d’un quartier populaire, périphérique à une agglomération ? Constatez-vous un traitement judiciaire différent depuis que ces violences s’étendent à d’autres couches de la population, lors des derniers mouvements sociaux en particulier ?

Les dysfonctionnements que je constate dans le comportement de la justice et de la police sont en réalité les mêmes lorsque la victime n’est pas issue d’un de ces quartiers, de telle ou telle origine, ou n’a pas d’antécédent judiciaire. Je ne généralise pas, je compare les dossiers que je traite. Je pense notamment aux cas récents de gilets jaunes. Certains de mes clients ont perdu un œil [comme Alexandre Frey, éborgné par un LBD à Paris en décembre 2019, ndlr]. La communication du parquet a tenté de les criminaliser en disant qu’ils avaient fait preuve d’agressivité envers les policiers, ce qui est totalement faux : des images le démontrent. Pour les gilets jaunes, des policiers refusent carrément de remettre leurs armes. La « police des polices » n’identifie personne, même dans des endroits où il y a le plus de caméras en France comme à la place de l’Étoile à Paris. Ce sont exactement les mêmes procédés.

Parmi ces dysfonctionnements, il y a les qualifications juridiques très basses choisies par la justice. Par exemple, lorsque le parquet ouvre une enquête simplement pour violence volontaire aggravée, alors que perdre un œil constitue une infirmité permanente. Je vais même aller plus loin : pour les personnes que je défends qui ont perdu un œil suite à un tir de LBD, je porte systématiquement plainte pour tentative d’homicide volontaire. À partir du moment où le policier vise le visage en connaissance de cause, sachant que ces armes-là peuvent tuer à une certaine distance, c’est une tentative d’homicide. Ce raisonnement juridique est totalement logique. C’est tellement vrai que le parquet, qui fait preuve de précaution en cas de blessures de gilets jaunes, a ouvert une enquête pour tentative d’homicide volontaire lorsqu’une magistrate a été visée par un tir de LBD au visage [8].

De nombreuses affaires se soldent par un non-lieu, sans que les images utiles des caméras de surveillance aient été visionnées, sans que certains témoins aient été auditionnés, avec des rapports d’autopsies contradictoires ignorés…

C’est un vrai problème. Le bras armé des décisions de non-lieu sont ces expertises, techniques ou médicales, de très mauvaises qualités. Dans l’affaire Adama Traoré, c’est flagrant ! Les premiers médecins désignés à Pontoise ont mis en avant une malformation cardiaque… Adama Traoré avait le cœur d’un athlète, d’un sportif de haut niveau [9]. Rendez-vous compte à quel point la réalité peut être travestie ? Nous faisons face à des médecins qui ont inventé des pathologies, c’est extrêmement grave ! Cette médecin-légiste avait également rendu un travail sur Ali Ziri indiquant qu’il avait « une malformation cardiaque expliquant le décès » [Ali Ziri, âgé de 69 ans, est décédé en 2009 après une arrestation à Argenteuil, ndlr]. C’est exactement les mêmes termes, quasiment un copier-coller. Bien sûr, les dizaines de coups qu’il a reçu n’existent pas pour cette experte. Ces travaux font honte à la médecine, et ce sont d’autres médecins qui le disent. Normalement, ces experts devraient être sanctionnés. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Pourquoi ces expertises contestées n’invalident-elles pas les instructions, censées se faire à charge et à décharge ?

Pour Abou Bakari Tandia [décédé suite à une garde-à-vue en décembre 2004 à Courbevoie dans des conditions troubles, ndlr], j’avais demandé la nomination de la directrice de l’Institut médico-légal, Dominique Lecomte, qui avait remis en cause les premières autopsies. Ce qui est terrible, c’est que cette dame, qui avait fait une carrière exemplaire, très respectée dans ce milieu, avait rendu le premier rapport sur Malik Oussekine [10]. Elle avait indiqué que son décès résultait d’un « effort intense » parce qu’il avait couru quelques centaines de mètres sans mettre en avant les dizaines d’hématomes qu’il avait sur le corps. C’est grâce au témoignage d’un inspecteur des finances, habitant dans l’immeuble où M. Oussekine a été battu à mort, qu’il y a eu une contre-autopsie qui a alors indiqué toutes ces traces. L’affaire Tandia, était l’une de ses dernières expertises avant de prendre sa retraite. C’est la seule qui avait conclu que le décès résultait de violences commises par les policiers, en mettant en avant le concept « d’adulte secoué ». Elle est donc devenue plus objective en fin de carrière qu’en début.

Le procureur de la République d’alors, M. Philippe Courroye, tout comme le magistrat instructeur, avaient demandé la mise en examen des policiers. Mais la magistrate a changé et a ordonné une énième expertise médicale, réalisée en très peu de temps, qui balayait toute possibilité de décès dû au comportement policier lors de l’interpellation. Dans tous les cas, cela pose des difficultés. Si on faisait, à la demande des parties civiles, des contre-expertises avec des médecins compétents, je pense que beaucoup de non-lieux devraient être invalidés. Malheureusement, ce n’est pas possible. On peut demander la révision de condamnations injustes mais pas d’un non-lieu. La moindre des choses serait de pouvoir reprendre ces affaires.

D’après notre recensement, près de 60% des personnes tuées suite à une intervention des forces de l’ordre ont été abattues par un tir de gendarme ou de policier. La loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique a étendu le droit d’user de leur arme à feu, au-delà du cadre de légitime défense. Qu’en pensez-vous ?

Ces nouvelles dispositions sont assez floues. Dans une affaire récente, celle de Gaye Camara, qui a reçu une balle dans la tête à Épinay-sur-Seine (en janvier 2018) [11], les conditions de légitime défense des policiers sont extrêmement troubles. J’estime que ça ne tient pas juridiquement. Nous avons demandé au magistrat instructeur une reconstitution. Là encore, elle a été refusée. M. Camara a fait ce qu’on appelle un refus d’obtempérer : il ne s’est pas arrêté, il a tenté de fuir.

Les témoignages font clairement état d’une voiture qui voulait juste partir et non pas mettre en danger des policiers. Ils ont tiré à huit reprises, aussi bien à l’avant qu’à l’arrière du véhicule. Leur défense est de dire que les nouvelles dispositions sur la légitime défense leur permettent de tirer sur un individu qui pourrait être dangereux à l’égard des tiers. Sauf que là, il fait nuit et il n’y a personne devant lui. M. Camara ne met personne en danger en partant avec son véhicule. Donc rien ne justifie les tirs. Malheureusement, le magistrat a rendu très rapidement un non-lieu [12]. Voilà comment les choses sont interprétées et c’est effectivement dangereux.

Les policiers visés par des enquêtes mettent souvent en avant qu’ils ont suivi la procédure légale ou qu’ils ont respecté les techniques d’interpellation apprises en école de police. Leur responsabilité peut-elle être pour autant démontrée pénalement ?

Bien entendu. Les techniques d’immobilisations sont très précises (lire ici). Lorsqu’on les apprend aux policiers, on leur explique bien que le plaquage ventral est extrêmement dangereux. Si on reste un certain temps sur un corps, ça peut conduire à la mort. Ensuite, il y a la question de la proportionnalité, mais la justice ne souhaite pas aller aussi loin dans la précision, même quand les éléments sont accablants. Les juges d’instructions n’ont pas demandé aux gendarmes pourquoi ils avaient mis tous leurs poids sur le corps d’Adama Traoré. Or, l’asphyxie est la question centrale, la plus importante.

Lorsque des éléments à charge existent, il n’est pas rare que les juges d’instruction ordonnent de nouvelles expertises afin de les contrer. Les dossiers de soupçons de violences policières sont donc anormalement longs. Certains durent quasiment dix ans entre les faits et une décision définitive de justice. L’argument souvent donné par les policiers est que l’IGPN est extrêmement sévère avec eux. Ils ont raison. Je défends beaucoup de policiers pour des faits ne concernant pas une interpellation et je peux vous dire que lorsqu’un policier est visé pour vol ou malversation, par exemple, les sanctions sont extrêmement rapides et sévères au niveau disciplinaire. Pas dans les affaires de violences policières illégitimes.

Les collectifs de familles de victimes des forces de l’ordre dénoncent depuis des décennies une impunité policière [13]. Selon nos données, environ 80 % des forces de l’ordre mises en cause dans la mort d’une personne ne sont pas condamnées. Y a-t-il une explication juridique à cette situation ?

C’est une question que je me pose beaucoup. Le décalage que je constate entre la manière de faire des investigations dans un dossier normal et celui de soupçon de violences policières illégitimes est tellement éloigné que n’ai pas d’explication objective à donner. Je côtoie des magistrats instructeurs d’une grande qualité dont les instructions deviennent misérables dans ce type de dossier, avec des enquêtes d’un niveau comme on en voit rarement, refusant tout acte d’investigation élémentaire… Malheureusement, je n’ai pas de propositions concrètes pour améliorer les choses. Peut-être des sanctions plus lourdes à l’égard des policiers reconnus coupables, et arrêter de féliciter ou d’accélérer la carrière des acteurs judiciaires de mauvais niveau.

L’énorme difficulté est que la défense de policiers soupçonnés de violences illégitimes est très ambitieuse : elle consiste à affirmer, grâce à des experts de mauvaise qualité, que le décès ne résulte même pas du comportement policier. Démontrer que le décès a bien un lien avec la violence d’une interpellation, cela peut déjà prendre plus de cinq ans. C’est seulement ensuite qu’on peut interroger la légitimité des violences. Ce combat est extrêmement compliqué, parce que des médecins vont venir vous dire qu’untel est mort tout seul, qu’on a découvert telle maladie cardiaque.

Derrière la question de la frontière entre force légitime et illégitime, il y a beaucoup d’affaires avec des éléments assez probants, des témoignages assez clairs et une justice qui, selon moi, fonctionne très mal.

Recueilli par Ludo Simbille et Raphaël Godechot

Partager cet article
Repost0
12 mars 2020 4 12 /03 /mars /2020 11:45
 Projection "Qui tué Ali Ziri" du samedi 7 mars au Gyptis à MARSEILLE
Voici quelques photos de la soirée du 7 mars au Gyptis où nous avons eu le plaisir de recevoir Luc et d'échanger avec lui autour de son film, à parler de cinéma et du combat pour la vérité et la justice. Le débat avec le public fut très riche.
 
Lien :
 
Nous vous remercions encore pour ce partenariat avec le Gyptis qui nous a permis de réaliser cette belle soirée et rencontre dans le cadre du printemps du Film Engagé.
Bien sincèrement,
Luc Thauvin
Printemps du Film Engagé

 

Partager cet article
Repost0
11 mars 2020 3 11 /03 /mars /2020 09:58
 
«Le modèle français, c’est la police qui fait peur»
 
Entretien filmé avec le sociologue Sebastian Roché qui décortique les dimensions de la « crise systémique » de la police en France. Il avertit contre le risque de « sud-américanisation » des forces de l’ordre.
 
 

« On est dans un problème systémique. » Le diagnostic revient à plusieurs reprises dans la bouche de Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des relations entre les forces de l’ordre et la population.Dans son dernier ouvrage, le sociologue avait déjà documenté les performances médiocres de la police française en termes de confiance et de satisfaction des administrés par rapport à des pays comparables en niveau de richesses et en ancienneté de la tradition démocratique. Depuis la répression des « gilets jaunes », il a multiplié les prises de parole critiques, avertissant contre le risque de « sud-américanisation » de la police. 

Il s’en explique dans cet entretien à Mediapart, en même temps qu’il esquisse les voies que devrait prendre une réforme sérieuse de la politique de sécurité. L’ingrédient essentiel, « la vision politique », est pour l’instant absent. Pour sa part, il estime qu’il faudrait « moins de policiers, mieux formés ». Et raconte, à la fin de notre conversation, comment son travail auprès de régimes post-autoritaires lui a rendu concret l’impératif de préservation des libertés publiques.

Partager cet article
Repost0
11 mars 2020 3 11 /03 /mars /2020 09:35
 
Violences : le rapport qui charge la police
Par Ismaël Halissat
— 10 mars 2020 à 18:41
 

Dans une enquête publiée ce mercredi, l’ONG Action des chrétiens pour l’abolition de la torture dénonce les graves dérives de la politique de maintien de l’ordre et exige notamment l’interdiction des LBD.

«L’ordre doit-il être maintenu à ce prix ?» Après des mois de manifestations marquées par de nombreuses violences policières, des mutilations et des graves blessures, la question posée par l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (Acat), dans un long rapport sur le maintien de l’ordre en France, s’apparente seulement à une question rhétorique. Car le constat de l’ONG est en effet accablant pour les autorités : «Le recours important à des forces non spécialisées et à des armes de force intermédiaire, le nombre élevé de personnes blessées ou encore la hausse et la cristallisation des tensions entre manifestants et forces de l’ordre témoignent d’un maintien de l’ordre qui dysfonctionne et échoue parfois à remplir sa mission première : garantir un exercice optimal des libertés publiques.»

À lire aussiViolences : «La fatigue des forces de l’ordre ne peut pas être une excuse»

Une tension qui trouve une illustration quasi hebdomadaire depuis près de deux ans, en grande partie lors du mouvement des gilets jaunes commencé en novembre 2018, mais aussi lors de la mobilisation contre les réformes des retraites, d’interventions de la police dans plusieurs quartiers populaires. Ou encore récemment, samedi à Paris, à l’occasion d’une manifestation féministe dispersée manu militari à coups de charges et de gaz lacrymogène.

«Opacité»

Après plus d’un an de travail, l’ONG française créée en 1974 fait aujourd’hui part de «sa vive préoccupation quant à la longue liste de personnes blessées, voire décédées, à l’occasion de manifestations, qu’elles y aient pris part ou qu’elles se soient simplement trouvées à proximité d’un cortège». Elle s’inquiète également «du déni des autorités face à cette situation préoccupante et regrette la considération insuffisante à l’égard des personnes blessées». L’Acat rappelle, en se fondant notamment sur l’absence de poursuites pénales, qu’«une part conséquente des personnes les plus grièvement blessées depuis le début du mouvement des gilets jaunes ne prenait pas part à des violences ou des dégradations, voire ne participaient même pas à la manifestation». Une situation qui ne «peut qu’interroger sur le caractère proportionné et nécessaire de la force ainsi déployée».

Au fil des quelque 200 pages de son rapport, l’ONG s’attarde longuement sur les armes dites intermédiaires employées lors des opérations de maintien de l’ordre. Un attirail largement développé depuis vingt ans, rappelle l’Acat, qui craint que ces armes vantées pour éviter les morts et les blessés n’«aggravent au contraire ce risque et [soient] plus susceptibles que d’autres de causer des blessures». Notamment car ces armes, tels le LBD et les grenades de désencerclement, sont utilisées «en contradiction avec les doctrines d’emploi» : «Il est par exemple fait état de nombreuses utilisations de ces armes à titre offensif et non défensif comme cela est pourtant prévu par les textes et répété régulièrement par les autorités.»

Marion Guémas, rédactrice du rapport, relève également «l’opacité des autorités françaises» en la matière. «La mise en service de nouvelles armes ou munitions ne fait l’objet d’aucune communication auprès de la population qui, la plupart du temps, les découvre directement dans le contexte des manifestations», regrette l’Acat. Qui dresse un constat identique pour «les circonstances et conditions dans lesquelles elles sont susceptibles d’être utilisées». L’ONG s’alarme aussi des tactiques développées par les forces de l’ordre, avec une utilisation de plus en plus importante d’unités non spécialisées, guidées par une volonté de faire de nombreuses interpellations. Ces effectifs «agissent avec leurs méthodes et leurs objectifs propres, ceux-ci pouvant parfois entrer en confrontation avec la logique d’ensemble du dispositif prévu». Une telle situation peut ainsi contribuer à «l’escalade de la violence, laquelle touche in fine toutes les parties, pas seulement les manifestants mais également les forces de l’ordre elles-mêmes».

«Contact»

Cette évolution emporte un changement d’approche fondamental, estime le rapport. «Une interpellation implique en effet un rapprochement physique et donc, de facto, un abandon de la logique de mise à distance. Les situations de maintien de l’ordre et d’interpellation obéissent à des schémas tactiques, des manœuvres, des postures opérationnelles et des temporalités totalement différents», poursuit Marion Guémas. Cette nouvelle posture «de contact» est pourtant revendiquée par les autorités.

Pour tenter de corriger cette dérive, l’Acat dresse une série de recommandations. L’ONG milite ainsi pour le renforcement de la formation des agents sur «les conséquences» de l’usage «des armes létales ou non». Elle demande aussi «l’interdiction des LBD en toutes circonstances» et «la suspension» des grenades de désencerclement et des grenades explosives GM2L pour «qu’une réflexion soit engagée» sur ces deux dernières armes. La rédactrice du rapport soulève aussi la nécessité de favoriser le dialogue, en application de la doctrine de gestion des foules «KFCD», en mettant en place des officiers de liaison indépendants. Face au constat de très faibles poursuites judiciaire à l’encontre des policiers et gendarmes responsables de violences illégitimes, l’Acat demande la «création d’un organe d’enquête indépendant» et des sanctions administratives «proportionnées à la gravité des faits».

Ces recommandations de l’ONG tombent au moment où le ministère de l’Intérieur doit prochainement rendre public un nouveau «schéma national du maintien de l’ordre», dont les travaux de rédaction ont débuté au printemps 2019. Depuis cette date, les conclusions des autorités ont été repoussées semaine après semaine. Un document de travail, révélé par Libération en novembre, attestait de la volonté du ministère de l’Intérieur d’entériner les méthodes de maintien de l’ordre vivement critiquées par l’Acat. L’ONG, qui souhaitait prendre part aux débats, n’a pas été conviée.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Vérité et Justice pour Ali Ziri
  • : Halte aux violences policières excessives et disproportionnées! Les droits humains ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la sécurité.
  • Contact

Profil

Recherche

Catégories

Liens