Alors que «le Monde» a identifié sur une vidéo un certain Alexandre Benalla, adjoint au chef de cabinet d'Emmanuel Macron à l'Elysée, se livrant, le 1er mai, à des violences sur un manifestant à terre, «Libération» a interrogé Taha Bouhafs, le militant qui a tourné ces images il y a quelques mois dans la capitale. Le parquet de Paris a fait savoir ce jeudi qu'il ouvrait une enquête préliminaire.
- Un conseiller de Macron filmé en train d'agresser un manifestant le 1er mai
- https://www.youtube.com/watch?time_continue=134&v=J22m3Y2xd9I
Sweat à capuche clair, blouson noir et casque de policier : le 1er mai, ce n’était pourtant pas un membre des forces de l’ordre qui a étranglé et frappé violemment un jeune homme au sol, mais selon le Monde, Alexandre Benalla, ancien responsable de la sécurité de la campagne d’Emmanuel Macron, adjoint au chef de cabinet du président, aujourd’hui chargé de mission à l’Élysée. Suite à cet épisode, l’homme a été mis à pied pour quinze jours en raison d'«un comportement manifestement inapproprié», ayant «porté atteinte à l’exemplarité qui est attendue, en toutes circonstances, des agents de la présidence de la République», selon le courrier publié par le quotidien et adressé le 3 mai par Patrick Strzoda, directeur du cabinet du chef de l’Etat, à l’auteur des violences. Le parquet de Paris a, ce jeudi, décidé d’ouvrir une enquête préliminaire pour «violences par personne chargée d’une mission de service public», «usurpation de fonctions» et «usurpation de signes réservés à l’autorité publique».
La vidéo montrant Alexandre Benalla a été tournée place de la Contrescarpe, à Paris, par Taha Bouhafs, militant des quartiers populaires et ex-candidat aux législatives de la France insoumise, qui l’avait rapidement postée sur son compte Twitter. Il revient pour Libération sur les circonstances de cette scène.
Je participais à la manifestation du 1er mai, les CRS ont attaqué les cortèges syndicaux au niveau du pont d’Austerlitz, j’ai été gazé, du coup, j’ai quitté la manifestation avec un ami pour aller dans le quartier Latin. Je me trouvais rue du Pot de fer, adjacente à la rue Mouffetard, toute proche de la place de la Contrescarpe. On a reçu un SMS, provenant d’une boucle militante, invitant à un apéro convivial, pour débriefer la journée et faire le point sur la mobilisation. On était juste à côté, donc on a décidé d’y aller, il y avait plusieurs groupes d’étudiants assis sur la place, en train de discuter et de boire des bières. Une dizaine de CRS immobiles étaient présents. Assez vite, une trentaine de CRS sont arrivés et ont bouclé la place. A ce moment-là, ça a rapidement dégénéré, la tension est montée, avec gaz lacrymo et coups de matraques, c’est parti dans tous les sens. Je précise que personne n’était masqué, c’étaient juste des jeunes en train de boire des bières et de parler tranquillement.
Premier réflexe, je me mets à filmer. Des CRS courent, une fille se fait attraper et tirer par le cou. Au même moment, un mec chauve en sweat-shirt attrape un gars avec plusieurs CRS, ils le traînent par terre et nous gazent pour éviter qu’on filme. Là, celui qui est identifié comme Alexandre Benalla arrive en courant, il attrape par le cou le gars qui est déjà à terre entouré de CRS. Il l’étrangle et lui met plusieurs coups de poing par derrière, c’est un tabassage en règle. La victime a du mal à respirer, se touche le ventre. On crie tous plusieurs fois d’arrêter, c’est hyper violent. Je m’approche d’Alexandre Benalla, je filme son visage et je dis : «Regardez son visage, il est en train de le tabasser par terre.» Il me regarde et il se barre de peur d’être reconnu. Je l’avais déjà aperçu plusieurs fois durant la manifestation avec un brassard de police. J’ai rapidement publié la vidéo sur Twitter, sans savoir à quel corps de police il appartenait.
Beaucoup de réactions indignées de militants, mais aussi un certain nombre de gens, des macronistes et des gens du FN, qui s’accordaient à le défendre, disant qu’on n’a pas le contexte, qu’on ne sait pas ce qu’il s’est passé, que le policier s’est simplement défendu.
Il y a de l’indignation, de la colère et de la peur : la violence d’Etat est forte envers les manifestants, on l’a vu pendant le mouvement étudiant, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à matraquer des étudiants, des cheminots, des migrants. Cette violence d’Etat monte d’un cran aujourd’hui, et ce n’est pas pour arranger le rapport entre la police et la population. Les jeunes des quartiers et les manifestants ont peur face à la police, et maintenant, on ne sait même plus qui porte un brassard, qui est derrière l’uniforme : demain, ce sera qui ? Un assistant parlementaire de la majorité présidentielle, un cousin germain d’Emmanuel Macron ? Ça fait froid dans le dos.